FT-CI

LEFIGARO.FR - 21/01/2011

Pour sa survie, le parti de Ben Ali opère sa mue

21/01/2011

Par Arielle Thedrel


À Tunis, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés jeudi devant le siège du RCD. La police a tenté de les disperser, sans succès.
Crédits photo : AFP PHOTO / MARTIN BUREAU

Si Ben Ali est parti, l’appareil qui le soutenait est toujours en place, omnipotent, et tenté de confisquer la révolution.

Une « rupture totale avec le passé », comme vient de le promettrele président intérimaire Fouad Mebazaa, est-elle vraiment possible en Tunisie ? À bien des égards, la fulgurance de cette « révolution de jasmin » rappelle ce qui s’est passé dans l’ex-Europe communiste en 1989 et plus particulièrement en Roumanie. Le régime de Zine el-Abidine Ben Ali s’est effondré comme un château de cartes. Sa chute était prévisible tant il était sclérosé. Mais nul n’aurait imaginé qu’un mois de manifestations aurait suffi pour en venir ã bout.

À l’instar de Ceausescu, après vingt-trois ans de pouvoir absolu, Ben Ali laisse derrière lui un champ de ruines politique. L’opposition laïque est aussi faible que divisée. Une bonne partie de ses leaders a passé de longues années en exil. Les islamistes modérés du parti Ennahda (Renaissance), laminés au lendemain des législatives de 1989, peinent pour le moment ã relever la tête. Diabolisé par ceux qui l’adoraient, Ben Ali a été sacrifié. Mais l’appareil qui le soutenait est toujours en place, omnipotent et tout naturellement tenté, comme l’ancienne nomenklatura roumaine, de confisquer la révolution. Tunis bruisse chaque jour de rumeurs alarmantes. Quoi qu’il arrive, les Tunisiens n’auront cependant d’autre alternative que de composer avec ce RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) conspué par la rue et une partie de l’opposition.

Le bureau politique dissous

La Tunisie souffre, elle aussi, de l’absence de traditions démocratiques. Le RCD a été fondé en 1988 par le président Ben Ali. Issu du Néo-Destour d’Habib Bourguiba, rebaptisé Parti socialiste destourien en 1964, il est en réalité au pouvoir depuis l’indépendance de la Tunisie en 1956. Il compte actuellement 2,8 millions de membres, soit 55 % du corps électoral. C’est plus, par tête d’habitant, que le PC chinois. À chaque élection, il a affiché sans vergogne des scores staliniens. Idéologiquement, le RCD est une coquille vide. Tout comme les anciens partis communistes en Europe de l’Est, il est perçu comme un « ascenseur social ». Bon nombre d’opposants reconnaissent eux-mêmes que la Tunisie ne pourra se passer de ses cadres, expérimentés et pour la plupart compétents, au risque de paralyser l’administration et de gripper la machine économique.

Discréditée, la direction du RCD devra cependant faire peau neuve pour être acceptée. Le premier ministre Mohammed Ghannouchi multiplie les gestes d’ouverture. Plusieurs personnalités du parti, très compromises, ont été radiées. Jeudi,le bureau politique, instance suprême du parti, a été dissous. Et l’on peut imaginer que très bientôt le RCD changera judicieusement de nom. Force est de constater cependant que, jusqu’ici, il garde la main sur tous les postes clés du pouvoir.

Comme tous les partis uniques, le RCD cultive l’opacité. Il semble cependant qu’une partie de ses dirigeants aient pris conscience depuis longtemps déjà de la nécessité de le rénover pour assurer sa survie. C’est cette mouvance « réformatrice » qui a pris le pouvoir après avoir contraint Ben Ali de jeter l’éponge contre l’avis des « conservateurs » du régime. Parmi ses chefs de file, le premier ministre Mohammed Ghannouchi, un « technocrate » ; le chef de la diplomatie Kamel Morjane ; le chef d’état-major de l’armée de terre Rachid Ammar ainsi que le puissant chef de la Sûreté nationale (la police), Adel Tiouiri, un juriste de formation âgé de 48 ans, ancien chef des renseignements. Avec des effectifs évalués ã 120.000 hommes, soit quatre fois plus que l’armée, la police constituait le pilier de l’ancien régime. Elle demeure la principale force armée du pays, devant l’armée, la garde nationale (la gendarmerie, qui relève en Tunisie du ministère de l’Intérieur) et l’ex-garde présidentielle (environ 5000 hommes). Selon des sources bien informées, Tiouiri se serait rendu ã Sidi Bouzid trois jours après l’immolation du jeune Mohammed Bouazizi. Tout comme le général Ammar, il aurait donné l’ordre ã ses troupes de ne pas intervenir contre les manifestants. Les responsables de la répression seraient Ali Seriati, chef de la garde présidentielle et Mohammed Lamine Abed, chef de la garde nationale.

Le clan des réformateurs s’est engagé ã épurer le parti. Plusieurs « faucons » de l’ancien régime ont été déchus ou arrêtés, tels l’ancien ministre de l’Intérieur Rafic Haj Kacem ou Ali Seriati. Zouheir M’dhaffer, reconduit dans le gouvernement d’union nationale, a démissionné jeudi. D’autres, tel que le redoutable Abdelwahab Abdallah, ancien conseiller de Ben Ali ou Abdallah Kallal, président du Sénat qui orchestra, en tant que ministre de l’Intérieur, la répression de l’opposition en 1990, semblent s’être évanouis dans la nature.

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