Scandale des prothèses PIP
Quand un patron décide de mettre près de 500.000 patientes en danger de mort
08/03/2012
Par Christian Faucomprez
Un patron voyou. Des centaines de milliers de femmes en danger de mort. Avec l’affaire PIP, nous revenons sur les causes de ces scandales de santé publique, ã travers toute une série de mécanismes, la gangrène des organismes de contrôle et la soif de profit qui guide avant tout l’industrie pharmaceutique et des dispositifs médicaux.
Le capitalisme et la santé
Très souvent, la politique destructrice du capitalisme en matière de santé était décrite de la façon suivante : attaques contre les structures et les conditions de travail dans les secteurs sanitaire, médico-social et social d’une part, et attaques directes contre les patients (déremboursements, augmentation du forfait hospitalier, franchises médicales, augmentations des mutuelles etc…) de l’autre.
Mais un autre aspect, trop peu abordé, a été récemment mis en lumière avec une acuité extrême : le scandale de l’industrie capitaliste du médicament et des dispositifs médicaux. Ce scandale a été aussi l’occasion de découvrir les liens entre les industriels et les organismes de contrôle, tant au niveau national qu’européen et international.
Les deux scandales récents, celui du médiator, des laboratoires Servier, et plus encore, celui des prothèses mammaires PIP (Poly Implants Prothèse), atteignent des sommets dans l’abject et font des patrons de ces entreprises de véritables assassins contre l’humanité.
Les prothèses mammaires implantables
C’est en 1961 que la firme américaine Dow Corning mit sur le marché des prothèses mammaires implantables constituées d’une enveloppe en silicone souple renfermant un gel de silicone. Celles-ci remplaçaient les prothèses en paraffine, puis les injections directes de silicone.
Il existe actuellement deux principaux types d’implants : les enveloppes de silicone remplies de sérum physiologique et les enveloppes de silicone remplies de gel de silicone. Les deux sont utilisés en chirurgie réparatrice et en chirurgie esthétique.
Le silicone est un caoutchouc (polysiloxane) constitué de grosses molécules. Il peut se présenter sous la forme liquide (huiles, gels) ou solide, de dureté variable. Lorsqu’il est de « grade médical » et particulièrement de « grade implantable », il est particulièrement bien toléré par l’organisme et peut rester en place de nombreuses années.
L’implant mammaire est constitué d’une enveloppe externe en silicone souple renfermant du gel de silicone. Le gel interne ne doit pas fragiliser l’enveloppe et cette dernière doit être résistante et empêcher toute fuite du gel dans l’organisme.
Aux Etats-Unis, en l’an 2000, la FDA (Food and Drug Administration- Organisation américaine de contrôle des aliments et produits de santé), sous la pression du corps médical, a restreint l’usage d’implants remplis de gel. En 2005, ceux-ci ont été remis sur le marché sous la pression des fabricants. En France, en décembre 2000, l’AFSSAPS (Association Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, placée sous l’autorité du ministère de la Santé) a interdit la mise sur le marché des implants conçus par la majorité des fabricants de prothèses, interdiction qu’elle a levée, notamment pour les prothèses PIP, en juillet 2001 !
Pour être mis en vente sur le marché européen, les dispositifs médicaux doivent être marqués CE. La procédure pour obtenir le marquage CE dépend de leur classe de dangerosité (1, 2A, 2B, 3). Les prothèses mammaires sont actuellement en classe 3 et nécessitent, pour être marquées CE, un audit documentaire (système qualité de l’entreprise) et un audit portant sur la fabrication, les contrôles finaux, la stérilisation, la recherche et développement (RD). Cet audit (payant) est réalisé par un « organisme notifié » (organisme certificateur), qui peut être choisi par l’entreprise dans n’importe quel pays de l’UE et dont les tarifs et la sévérité sont très variables (d’où concurrence). La base de ces auditsest les « exigences essentielles » de la directive européenne 93 42/CEE. Pour prouver la conformité ã ces exigences essentielles, il suffit de démontrer le respect des « normes harmonisées européennes ». Celles-ci sont élaborées par les organismes de normalisation (en France par AFNOR), des fabricants, des utilisateurs, des représentants des ministères concernés au sein de commissions françaises et européennes.
Ce beau dispositif pourrait paraître très sécurisant. Il présente en réalité des failles, tant au niveau de l’élaboration des normes que des contrôles. Ces failles sont directement liées à la recherche du profit maximum pour les fabricants, avec la tolérance, pouvant parfois inclure la corruption des experts et des organismes publics de contrôle. Nous les évoquerons après avoir décrit les agissements criminels de la direction de « Poly Implant Prothèse » et de son directeur, Jean-Claude Mas.
Les escroqueries criminelles d’un patron voyou
Le marquage CE des prothèses PIP, obtenu de l’organisme notifié allemand Tüv Rheinland, l’avait été sur la base d’un produit contenant du gel implantable. Coût du gel implantable en 2009 : 35 € le litre. Le coût du « gel PIP » (contenant du gel industriel, des huiles lubrifiantes pour carburant et des produits pour l’enrobage des câbles électrique) : 5 € le litre. Le gain pour PIP : un million d’euros par an !
La rémunération de Jean-Claude MAS était de 30000 € par mois. 100.000 prothèses produites par an, 400 ã 500.000 femmes porteuses dans le monde, cela fait frémir !
Ignoble individu ? Certes ! Mais comment cela a-t-il été possible malgré les contrôles et les plaintes des patientes et des chirurgiens ?
Des normes aux contrôles : le profit omniprésent
A commencer par les commissions de normalisation nationales, européennes et internationales (ISO), la présence des « fabricants » transforme celles-ci en armes de guerre contre la concurrence et pour la défense de leurs profits : chacune des entreprises participantes cherche ã inclure dans les normes les caractéristiques de ses propres produits et à limiter les coûts. Au niveau des contrôles, le marquage CE s’obtient par des audits dont les dates sont prévues très à l’avance, conjointement entre le fabricant et l’organisme notifié. Dans le cas d’une tricherie volontaire, la direction de l’entreprise a tout le temps de camoufler les composants non conformes et de fabriquer les dispositifs avec des composants conformes, le jour de l’audit. Et ceci, en terrorisant le personnel pour qu’il ne parle pas. C’était le cas de PIP.
L’AFSSAPS est une véritable passoire : depuis 2006, des plaintes avaient été déposées en France par des patientes et des chirurgiens et il a fallu attendre 2010 pour qu’elle s’inquiète ! En 2005, PIP avait pourtant été condamnée, en Grande-Bretagne, ã verser 1,4 millions d’euros pour rupture de ses prothèses ; et déjà en 2000 aux USA, la FDA avait dénoncé PIP pour le dégonflement de ses prothèses salines et la non-prise en compte de 120 plaintes en France. Des tentatives de corruption des plaignantes par PIP en 2008 et 2009, ont pu être mises en évidence.
Mais il faut également signaler que les experts de l’AFSSAPS ne sont souvent pas neutres. Certains viennent des entreprises censées être contrôlées et parfois y retournent avec des salaires plus que confortables. De plus, dans toutes les réunions organisées par le ministère de la santé, le syndicat patronal SNITEM (Syndicat National de l’Industrie des Technologies Médicales) est présent pour défendre les profits des industriels du dispositif médical.
Quelles solutions pour la santé publique ?
Pas plus que dans les autres secteurs, il n’existe de solution miracle pour garantir la sécurité des patients, l’efficacité des dispositifs médicaux, l’efficacité des contrôles, si le système basé sur le profit, le système capitaliste continue d’exister.
Actuellement, malgré la compétence et l’honnêteté de nombreux professionnels de santé, techniciens, médecins, chercheurs qui participent à l’élaboration des normes médicales et aux processus de contrôle, c’est bien tout le système qui est complètement corrompu et pourri ! Ministères, organismes d’état, organismes de certification sont gangrenés.
Seule la nationalisation, sans indemnité ni rachat, de l’ensemble de l’industrie pharmaceutique et des dispositifs médicaux, ainsi que des organismes de surveillance, sous le contrôle des travailleurs, permettra d’utiliser l’immense savoir scientifique actuel au profit de la santé publique.
05/03/12