FT-CI

Quelles perspectives pour la Grèce et l’Union Européenne ?

25/07/2011

Au moment où nous finissions la traduction de cet article, un accord de dernière minute venait d’être trouvé entre les dirigeants de l’Union Européenne. Après sept heures d’une réunion tendue entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy le 20 juillet, un sommet d’urgence réuni ã Bruxelles le lendemain s’est mis d’accord sur un nouveau plan de “sauvetage” pour la Grèce, en admettant pour la première fois que ce pays ne sera pas en mesure de rembourser l’ensemble de ses dettes et en acceptant un défaut de paiement partiel de celles-ci. Il s’agit d’une première depuis des décennies en ce qui concerne un pays capitaliste développé. Sous le prétexte, douteux d’ailleurs, que la situation grecque serait un cas ã part, ils décident de soustraire de fait ce pays du marché des capitaux pour une durée de dix ans, en assumant au nom de l’Eurogroupe la tâche de réhabiliter l’économie du pays par le biais d’un nouveau prêt ã des taux moins élevés et d’une promesse d’investissements que le Conseil Européen appelle de façon pompeuse et exagérée un nouveau Plan Marshall.

Bien que ce plan signifie une relative bouffée d’air pour la Grèce et pour son gouvernement, il n’implique pas plus qu’une légère réduction de la charge de la dette - 21% - en même temps qu’il maintient toutes les attaques draconiennes contre les travailleurs et la population grecs et qu’il n’est pas encore possible de mesurer les effets qu’il aura sur la croissance du pays. Dit autrement, le ré-échelonnement de la dette prévu par les responsables européens est bien trop limité pour permettre à la Grèce de restaurer sa solvabilité, ce pourquoi le pays restera dépendant du goutte-à-goutte des fonds européens, accordés en échange d’une tutelle économique internationale et d’une plus grande obligation ã tenir ses engagements, en particulier en ce qui concerne les privatisations. Pour appeler un chat un chat, cela veut dire la soumission des masses grecques ã encore trente ans de saignée...

A côté de ces mesures, le plan avance aussi sur une certaine participation du secteur privé, flexibilise les conditions de fonctionnement du fonds de sauvetage européen, le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) en permettant l’extension des prêts de précaution et la recapitalisation des banques des pays en difficulté (y compris de ceux qui ne se trouvent pas encore sous un plan de sauvetage) ã travers des prêts aux États, ainsi que le rachat des obligations souveraines sur les marchés secondaires sous condition de l’accord de la BCE et de circonstances d’extrême instabilité financière. Toutes ces mesures tiennent compte de la situation fragile de pays comme l’Espagne ou l’Italie, dont dépend l’avenir de l’Euro. Le point le plus faible dans cette affaire est que toutes ces nouvelles conditions et tâches accordées au FESF devront être menées sans qu’un seul euro supplémentaire soit versé dans ses fonds, d’ores et déjà en surcharge, ce qui oblige ã s’interroger sur leur efficacité.

Bref, l’accord entre les gouvernements européens est meilleur que ce qu’attendaient nombre d’analystes bourgeois. Il sort pour l’instant l’eurozone du bord du gouffre dans lequel elle se trouvait après les symptômes d’effet contagion en Italie, la troisième économie de l’UE et soulage de façon temporaire les tensions dans le marché de la dette souveraine, quoiqu’à un coût élevé. Néanmoins et malgré la réaction positive des marchés et le ton triomphaliste de quelques économistes ce plan reste très loin d’une solution de long terme pour rétablir la stabilité de l’Eurozone. Les contradictions soulevés dans l’article qui suit, gardent, ainsi, toute leur actualité.

Mercredi 29 juin, le Parlement grec a approuvé le paquet quinquennal de coupes budgétaires et d’augmentations d’impôts, condition exigée par l’Union Européenne (UE) et le Fonds Monétaire International (FMI) pour concéder les 12 milliards d’euros correspondant au « plan de sauvetage » de l’an passé. Avec ce vote la Grèce a échappé pour l’immédiat, ou du moins pour l’été, au danger d’un défaut de paiement sur sa dette souveraine et à la débâcle financière et économique que cela entrainerait. Mais cette victoire à l’arrachée obtenue par le gouvernement social-démocrate du gouvernement du PASOK ne sera sans doute que de courte durée : dans les prochains mois le gouvernement Papandréou devra prendre une série de décisions et se verra soumis ã de fortes tensions qui rendent probables la perspective couplée d’une importante crise politique ainsi que d’un défaut de paiement en dernière instance.

Un pas en avant dans la « semi-colonisation » de la Grèce

Le programme d’ajustement pour les quatre prochaines années, le second que le gouvernement grec présente depuis mai 2010, prévoit 28,4 milliards d’euros de rentrées fiscales et 50 milliards supplémentaires par la privatisation d’entreprises publiques. Ce plan implique également des coupes drastiques dans le secteur public avec la disparition d’environ 150 000 des 700 000 emplois existants, la suppression de plusieurs prestations sociales, la réduction des dépenses de Santé et des investissements publics. Du côté des mesures fiscales on exige des Grecs de payer cette année 2,3 milliards supplémentaires d’impôts (en 2012, le coup de massue sera plus grand, avec une augmentation de 3,38 milliards) ã travers notamment la création d’un « impôt solidaire » et l’augmentation de la TVA. Les Grecs qui se chauffent au mazout paieront ainsi davantage, devront s’acquitter du fameux « impôt solidaire » prenant en compte 1 ã 5% des revenus, le taux d’imposition plancher passera de 12 ã 8.000 euros, la TVA augmentera de 13 ã 23% pour les bars et restaurants et certaines professions libérales ou certains artisans (avocats, artisans-taxi ou plombiers) paieront 300 euros de plus par an.

Ce plan d’ajustement inédit et draconien (du jamais vu en Europe Occidentale depuis la crise des années 30) imposé par la « troïka » UE / FMI / BCE (Banque Centrale Européenne) signifie une perte de souveraineté pour la Grèce. Les inspecteurs du FMI et de l’Union Européenne se rendent régulièrement dans le pays, examinent les comptes et dictent la politique. En accord avec le nouveau plan les émissaires étrangers seront rattachés aux principaux ministères et administreront les entreprises qui privatiseront la richesse publique. Tout ceci représente un saut en avant dans la semi-colonisation d’une économie capitaliste mûre à l’intérieur de l’UE. C’est ce qu’a dit ouvertement le président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker après l’approbation du cinquième tronçon du plan de sauvetage de la Grèce. « La souveraineté de la Grèce sera énormément limitée » a-t-il déclaré à la revue allemande Focus le 3 juillet. « Personne ne peut se permettre d’insulter les grecs. Il faut les aider. Ils ont dit qu’ils étaient disposés ã accepter l’expérience de la zone euro [2] ». Et, pour clarifier la nature du pillage en bonne et due forme qui se prépare, Juncker a rajouté « que la Grèce doit privatiser à l’image de ce qu’a fait l’Allemagne de l’Est dans les années 1990. Pour la prochaine vague de privatisation Athènes va avoir besoin d’une solution basée sur le modèle de ‘l’agence Treuhand’ », a–t-il déclaré, faisant référence à l’agence de privatisation qui vendit 14 000 entreprises est-allemandes entre 1990 et 1994 [3]. Pour 2011 le gouvernement entend récupérer 5 milliards d’euros avec la vente du monopole d’état sur la loterie et les paris sportifs (OPAP), la Poste, l’entreprise de gestion des eaux de Thessalonique, la seconde ville du pays ainsi que les entreprises de gestion portuaire du Pirée et de Salonique alors que ces entreprises sont considérées comme faisant partie du « patrimoine grec ». Pour les années 2012 et 2015 Athènes entend collecter 45 milliards avec la privatisation complète ou partielle de l’entreprise de gestion d’eau d’Athènes, des raffineries, des entreprises électriques, d’ATEbank, banque de crédit spécialisée dans le secteur agricole, ainsi que la gestion de 850 ports, 39 aéroports, des autoroutes, des droits d’exploitation des mines et la propriété immobilière et des terrains publics. Cependant plusieurs « enquêtes indépendantes suggèrent que la Grèce aura ã se battre pour obtenir plus d’un quart des 50 milliards en question ã moins de vendre également les biens fonciers publics ainsi que le patrimoine culturel [4] ». Les investisseurs s’apprêtent donc ã acheter des actifs grecs ã des prix défiant toute concurrence. En cas de faillite en revanche ils n’achèteront que si les bénéfices profits sont réellement importants. Il est fort possible que ce que titraient au début de la crise les journaux allemands ã gros tirage, ã savoir la vente par morceaux de la côte ou des îles grecques, se réalise si cette semi-colonisation, qui se déploie avec l’aval du gouvernement et de la bourgeoisie grecque, s’approfondit.

Difficultés économiques et politiques pour un « Plan Brady » européen

Mais malgré la vente du patrimoine national par Athènes la situation de la Grèce et de la zone euro elle-même est loin d’être résolue. Face ã cette réalité de nombreuses voix se font entendre, à l’image du Financial Times, le journal de la bourgeoisie financière de la City de Londres, exigeant une solution plus radicale. L’éditorial du 4 juillet du Financial Times se prononçait ainsi catégoriquement pour « un plan Brady pour en finir avec la crise européenne [5] ».

Dans les années 1980 l’Amérique latine a également connu un grave problème de dette qui a mis en danger le système financier des États-Unis. La bourgeoisie trouva une issue ã cette crise ã travers le « Plan Brady », du nom du secrétaire américain au Trésor de l’époque. Le plan Brady prévoyait que la dette bancaire se transforme en bons négociables garantis par le Trésor étasunien (bons Brady), ce qui donnait une certaine sécurité aux investisseurs. Les pays endettés s’engageaient en échange ã réaliser une série de réformes économiques dans le cadre de ce qui allait bientôt s’appelait le « consensus de Washington ». L’application de ce plan permit d’éviter la faillite de la Réserve Fédérale, mais le poids de la dette continua ã être très élevé. Les pays de la région purent ã nouveau se financer sur le marché des capitaux international, au prix des mesures conservatrices et ultralibérales qui caractérisèrent les années 1990 ã travers une vague de privatisations sans précédents et une attaque en règle envers les acquis ouvriers arrachés au moment de la période où dominait le modèle économique de « substitution d’importations ».

Cependant une issue de ce type à la crise fait face en Europe ã beaucoup d’obstacles politiques et économiques ainsi qu’à la résistance des pays les plus puissants de l’UE, notamment de l’Allemagne. Dans les pays les plus affectés par la crise de la dette, comme la Grèce, ces plans sont vus comme un sauvetage des banquiers européens. C’est ce dont témoigne par exemple l’ex-commissaire européenne et député du PASOK Vasso Papandreou (qui n’a rien ã voir avec le Premier Ministre) qui a déclaré voter le plan d’austérité et « qu’elle voterait pour les lois par devoir patriotique, même si [elle craint] que l’état de l’économie ne se détériore davantage. L’Allemagne est en train de préparer le terrain pour notre banqueroute officielle dès que cela sera indolore pour les banques allemandes [très liées au système bancaire grec] ». Cette déclaration se fait l’écho d’une opinion largement partagée parmi les Grecs qui disent devoir subir la misère pour sauver les banquiers européens [6]. Tout ceci est à l’opposée des recommandations faites par William Rhodes, président jusqu’il y a peu de la Citybank et acteur-clé de la renégociation de la dette latino-américaine. Dans son dernier ouvrage, Banker of the world, Rhodes explique sans ciller qu’il est « impératif que le gouvernement soit capable de présenter le programme de réforme comme un programme d’origine ‘nationale’ pour éviter qu’il soit perçu comme imposé, ou soutenu, par une puissance extérieure, que ce soit le FMI ou une autre institution financière ou politique internationale [7] ».

En termes économiques, même si au cours des derniers mois les banques allemandes ont réduit leur exposition à la dette grecque il pourrait être prématuré pour le système bancaire européen d’assurer une issue à la crise ã travers un « plan Brady à l’européenne ». C’est ce que suggère le rédacteur en chef Amérique latine du Financial Times en comparant les deux moments : « certains économistes, dit-il en substance, soutiennent que le plan Brady aurait dû être appliqué [en Amérique latine] avant. Ce faisant, l’Amérique latine n’aurait pas connu ce que l’on a appelé la ‘décennie perdue’ au cours des années 1980, un risque encouru aujourd’hui par certains pays européens. Cependant, hier comme aujourd’hui, il faut d’abord donner du temps aux autorités et aux marchés pour comprendre l’ampleur du problème. Plus important encore, il faut leur donner le temps d’accroitre leurs réserves afin d’absorber les pertes qu’impliquerait une réduction de la dette ou un défaut partiel. En 1982 les prêts aux pays en développement, dans leur majorité latino-américains, représentaient plus de deux fois la base de capital des banques étasuniennes selon le FMI. Une réduction de la dette prématurée aurait produit une crise financière systémique aux États-Unis. C’est ce qui pourrait se produire aujourd’hui dans la zone euro [8] ».

C’est pour cela que face ã cette situation les plans successifs consistent ã socialiser les créances des propriétaires de titre et de bons sur le Trésor des pays européens connaissant une crise de la dette importante, afin de gagner du temps pour les banques. C’est ainsi qu’en 2009 le gros de la dette grecque était en possession de créanciers privés. Aujourd’hui 37% de celle-ci est en possession d’institutions publiques, comme la BCE et le FMI. Avec le versement de chaque tranche de l’aide européenne l’exposition des banques, caisses et fonds privés diminue alors que celle des institutions publiques européennes augmente. Certains analystes estiment que d’ici ã 2015 cette exposition des institutions publiques sera de l’ordre de 56% alors que les banques ne possèderont que 8% de la dette grecque et les assureurs privés 11%.

On peut dire la même chose des deux propositions en discussion pour la dette grecque : la proposition allemande consiste ã impliquer le secteur financier dans les frais du plan de sauvetage élaboré par la Deutsche Bank, la principale banque du pays, alors que la proposition de la Fédération Bancaire Française met l’accent sur le soutien des banques à la dette jusqu’à son échéance (juillet 2011-juillet 2014), lorsqu’elles recevront la totalité des remboursements en liquide mais devront en réinvestir en bons du Trésor grec ã 30 ans. De cette façon les créanciers verraient leurs investissements protégés ã hauteur de 30% et garantis ã terme par l’État grec au travers d’un instrument financier (le financement de projet ou Project finance) qui peut générer ã terme un profit ou n’amener dans le pire des cas qu’à une perte légère. Aucune de ces deux propositions ne prend en considération une restructuration de la dette [9], et encore moins un certain assouplissement de l’austérité pour les pays endettés qui leur permette de renouer avec une certaine croissance. A la différence des USA et de leur chasse-gardée latino-américaine dans les années 1980. L’Allemagne n‘est de toute façon aucunement favorable pour l’instant ã une issue de ce type.

Les bases politiques et géopolitiques de l’euro et de l’UE se fissurent

Malgré le fait que l’Europe dans son ensemble ne souffre pas des déséquilibres aigus et structurels de l’économie américaine, la capacité de l’Union Européenne ã agir et ã réagir face ã des crises comme celle qui est en cours est bien moindre. Comme nous l’avons déjà expliqué dans d’autres articles, il s’agit là d’une conséquence des contradictions inhérentes au processus de construction européenne impulsée par la bourgeoisie impérialiste, exacerbée en même temps par le lancement de l’euro qui a élargi les bases de l’intégration économique sans avancer parallèlement dans l’intégration politique ou vers un État supranational, ce que la crise a mis en évidence.

Ce processus d’intégration commence ã se fissurer. Si cela devait s’accentuer cela pourrait remettre en cause tout ce que la bourgeoisie européenne ã construit de plus précieux pour ses intérêts jusqu’à présent. Le fait est que les contradictions économiques s’accentuent (notamment entre les pays de la périphérie de la zone euro et le noyau dur constitué par l’Allemagne et les Pays-Bas, avec la France dans une position intermédiaire), alors que parallèlement les bases politiques et géopolitiques qui ont rendu possible le lancement de l’euro et le développement de l’UE sont en train de changer.

La réunification impérialiste de l’Allemagne en 1990 a donné lieu ã une période dynamique de changement géopolitique sur le territoire européen comparable peut-être ã ce qu’a signifié, à l’époque, l’unification allemande sous Bismarck en 1871. Parallèlement ã cela d’autres phénomènes se sont développés à l’image de l’affaiblissement l’OTAN après la disparition de l’URSS qui était à la base de la cohésion de l’Alliance. Cela s’est vu dans le désintérêt européen pour la tentative infructueuse de stabilisation de l’Afghanistan ou encore dans les divergences qui ont surgi autour de l’opération en Libye, impulsée fondamentalement par la France et l’Angleterre. Une autre tendance est celle de la régionalisation des alliances de sécurité, définies autour de la relation avec la Russie, promue par l’Allemagne et la France mais qui se heurte à la résistance de pays comme la Pologne et les pays baltes.

L’affaiblissement des liens politiques et géopolitiques qui ont conduit à la création de l’UE pourraient ainsi conduire ã sa dissolution. Comme le souligne l’agence Stratfor : « La régionalisation de la sécurité de l’Europe n’est pas un bon signe pour le futur de la zone euro. Une union monétaire ne peut pas être insérée dans une désunion en termes de sécurité, surtout si la solution à la crise de la zone euro passe par une intégration plus profonde. Varsovie ne va pas donner le pouvoir de veto ã Berlin sur son budget si tous les deux ne sont pas d’accord sur ce qui constitue une menace pour la sécurité » [10]. Le fait qu’il soit plus important pour Berlin d’entretenir des rapports avec le centre de l’UE et l’Europe Centrale qu’avec des pays que l’Allemagne regarde comme périphériques comme l’État espagnol [11] pourrait donc conduire ã des options régionales.

Toutes ces contradictions de grande ampleur se lisent dans la crise actuelle notamment dans l’indécision de l’Allemagne ã avancer dans la résolution des déséquilibres entre le Nord et le Sud de l’Europe. Bien qu’aucun gouvernement ne voit l’intérêt d’un affaiblissement de l’UE au beau milieu de la crise (c’est ce que montrent les accords de dernière minute auxquelles ils parviennent ainsi que la flexibilité de la BCE qui pourrait même en arriver ã imprimer de la monnaie en cas de possibilité de défaut de paiement et d’une contagion européenne et mondiale), les réticences allemandes sont une preuve des doutes de Berlin sur le long terme par rapport ã son rôle au sein de l’UE.

L’alternative à la « régionalisation » pourrait être une UE sous direction allemande. Mais cela aurait un coût, surtout si l’on considère les tendances nationalistes qui ont historiquement structuré l’histoire européenne et qui aujourd’hui ont tendance ã refaire surface. Pour l’Allemagne aussi le prix ã payer serait élevé. Comme le dit l’agence Stratfor « l’alternative à la régionalisation en Europe passe par un clair leadership allemand qui assure sur le plan économique et politique une plus grande intégration européenne. Si Berlin réussit ã dépasser le populisme anti-euro alimenté par le ras-le-bol face aux plans de sauvetage au sein du noyau de la zone euro, cela lui permettrait de continuer ã soutenir la périphérie de l’UE et ã démontrer son engagement par rapport à la zone euro et à l’Union Européenne (…). La question consiste ã savoir si l’Allemagne prend sérieusement en considération la possibilité de se transformer en leader de l’Europe et de payer le prix d’être la puissance hégémonique d’une Europe unie, ce qui n’implique pas seulement des plans d’aide financière mais également d’affronter à la Russie [12]. ». C’est là une condition sine qua non qui serait exigée par les pays d’Europe centrale. C’est pour cela que la résolution de la question allemande a une importance fondamentale pour le destin de l’UE.

Vers des évènements et des affrontements de classe majeurs

La seconde épreuve de feu que l’UE devra affronter se situe du côté de la résistance ouvrière et populaire croissante face ã ses plans d’austérité qui laissent entrevoir la possibilité d’affrontements de classe majeurs et qui compliqueront, comme le montre déjà le cas de la Grèce, toute « solution » bourgeoise à la crise. Lorsqu’au début de la crise, il y a quelques années, nous prévoyions la possibilité de l’ouverture de situations pré-révolutionnaires dans plusieurs pays impérialistes centraux beaucoup nous prenaient pour des illuminés, y compris au sein de l’extrême gauche trotskyste. Aujourd’hui après des affrontements constants et violents en Grèce, le surgissement du mouvement des « indignéEs » dans l’Etat Espagnol, la lutte contre la réforme des retraites en 2010 en France qui bien failli faire basculer le pays dans la grève générale et le vent du printemps arabe qui nous arrive du Sud de la Méditerranée cette possibilité commence ã prendre corps. C’est précisément ce que commencent ã prédire les plus lucides parmi les analystes, à l’image de Poch de Feliu. « Le pillage de la Grèce, c’est un programme purement destructeur et de court-terme. Au-delà d’une défense par l’inertie d’intérêts égoïstes, ce qui est le plus probable c’est que le « Politburo » [savoir, selon Poch de Feliu, l’UE, Berlin et le FMI] n’a aucune idée de là où il nous emmène. La question du moment est d’organiser un défaut de paiement en douceur de la Grèce, le moins traumatique possible pour l’ensemble du système européen et de gagner du temps. Mais ce qui se joue aujourd’hui en Grèce c’est une véritable banqueroute sociale. La politique européenne actuelle vise ã démanteler les acquis sociaux vieux de cinquante ans. Cela a déjà eu lieu en Amérique latine, mais également en Russie. Maintenant on impose tout ceci à la Grèce, et viendront les autres pays : d’abord l’Irlande et le Portugal, puis l’Espagne, l’Italie. Derrière pourrait se trouver la France. Même en Allemagne, soi-disant en bonne santé, la dégradation sociale et des conditions de travail est évidente. Nous assistons aux premiers moments d’une réaction, conservatrice et catastrophique, au sein l’espace européen. Je ne crois pas que les Européens soient aussi dociles que les Russes des années 1990. Avec son prochain gouvernement postfranquiste [en allusion à la victoire écrasante du Parti Populaire aux prochaines élections générales] et son mouvement des Indignés qui ne risque pas de disparaitre de si tôt, l’Espagne pourrait se révéler être un théâtre central de la situation qui s’ouvre ã nous… De grands évènements nous attendent » [13].

Il ne faut donc pas se tromper et penser que ce genre de scénario ne sera que l’apanage des pays les plus exposés aujourd’hui à la crise. En France, après les élections de 2012, on peut s’attendre ã une situation difficile aussi. C’est cela que dit l’éditorialiste des Echos, Eric Le Boucher. Il affirme que le nouveau président, au-delà de la démagogie ou de la dissimulation délibérée actuelle « ne pourra proposer autre chose ã son peuple que du sang et des larmes », en soulignant que « pour réduire le déficit, il faut immanquablement couper dans les retraites, les remboursements maladie, les allocations familiales, les allocations chômage, les minima sociaux. Il faut aussi trancher dans les effectifs de l’État et des institutions territoriales. Il faudra aussi, immanquablement, hausser les impôts [14] ». En reprenant les commentaires d’un député socialiste, président de la Commission des Finances, il ajoute qu’avec « autour de 30 % des voix au premier tour, je vois mal le candidat qui gagnera l’élection parvenir, seul, ã réduire la dette de la France (…). Il faudra un accord politique global ». Toute attaque d’ampleur, comme ceux qui se préparent, pourrait réveiller ã nouveau le prolétariat et la jeunesse française qui a continué à lutter mais de façon invisible depuis l’automne dernier [15]. Voilà qui apporte un sérieux démenti au scepticisme de la gauche réformiste et de l’extrême gauche qui ont tout fait pour éviter de regarder en face la poursuite des hostilités sociales après la grande lutte contre la réforme des retraites).

Tous les éléments constitutifs de la première phase de la décennie de 1930 sont présents aujourd’hui : la crise économique, le désastre social, la croissance du populisme et de l’extrême gauche, une réponse des masses, quoiqu’en retard par rapport à l’ampleur des attaques, le spectre de la xénophobie, le nationalisme, le protectionnisme. Il s’agit d’une époque d’actualisation grandissante de la dialectique entre la révolution et la contre-révolution. En tant que révolutionnaires, nous nous devons de nous préparer pour ces évènements.

Le 07/07/11

    [1] Article tiré de J. Chingo, « Después de la aprobación del paquete de austeridad ¿Cuáles son las perspectivas de Grecia y la Unión Europea ? ».

    [2] Agence Reuters, 3/7/2011.

    [3] L’exemple utilisé par Juncker est déjà tout un programme : cette agence fut profondément anti-populaire en ayant laissé à la rue 2,5 millions de travailleurs.

    [4] “Greece faces ‘fire sale’ shortfall”, Financial Times, 28/6/2011.

    [5] “A Brady plan to end Europe’s crisis”, Financial Times, 3/7/2011.

    [6] Agence Reuters, 30/6/2011.

    [7] “Europhiles have made the hard decisions on Greece far harder”, John Dizard, Financial Times, 3/7/2011.

    [8] Financial Times, “Eurozone can learn grim Latin lessons”, John Paul Rathbone, 21/12/2010.

    [9] Selon les calculs du FMI, la Grèce payera 131 milliards d’euros pour le refinancement et les intérêts de la dette entre 2009 et 2011, beaucoup plus que ce qui était estimé par le premier plan de sauvetage de 110 milliards d’euros.

    [10] “The Divided States of Europe”, Marko Papic, Stratfor, 28/6/2011.

    [11] Par exemple, le commerce allemand avec la Pologne et la république Tchèque est plus important que le commerce avec l’Espagne, la Grèce, le Portugal et l’Irlande ensemble. Cela est dû dans une large mesure à l’intégration de ces deux pays comme base pour les relocalisation des entreprises allemandes.

    [12] Idem

    [13] « El saqueo de Grecia, preludio de grandes acontecimientos », La Vanguardia, 1/7/2011.

    [14] Les Echos, “Du sang et des larmes », 1/7/2011.

    [15] Voir notamment J. Chastaing, “France : un vaste mouvement de grèves invisibles”.

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