« Au sommet », ils se font la guerre, mais ils sont d’accord pour écraser « ceux d’en bas »
Retour sur l’affaire Jouyet-Fillon
19/11/2014
Nous n’en sommes ni à la première, ni à la dernière de ces « affaires » au sommet de l’Etat qui nourrissent la une des journaux écrits ou télévisés. L’affaire Jouyet-Fillon, dernier avatar de ce roman ã épisodes quasi quotidiens, mériterait ã peine que nous en parlions si elle ne prenait un caractère particulièrement emblématique au moment où des jeunes, légitimement révoltés par le crime d’Etat perpétré contre Rémi Fraisse, se font durement réprimer physiquement et juridiquement.
La magouille au sommet : « mensonge, complot et trahison au pays de la bourgeoisie »
L’affaire se passe entre deux hauts personnages : François Fillon, ex-premier ministre et présidentiable en 2017 et Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Élysée, ami de 30 ans de Hollande. C’est une déclaration du Monde du 8 novembre qui met le feu aux poudres en révélant la collusion entre Fillon et Jouyet : lors d’un déjeuner privé, l’ex-premier ministre, a demandé au secrétaire général de l’Elysée « d’intervenir auprès du parquet afin d’accélérer les procédures judiciaires en cours » à l’encontre de Sarkozy. Histoire de faire baisser la cote de l’autre, voire de l’anéantir, ã défaut de pouvoir remonter la sienne. Immédiatement, Jouyet et Fillon démentent, chacun de leur côté. Mais les preuves sont là ; les journalistes les tiennent ã disposition et en livrent une partie. Il s’agit d’un enregistrement réalisé lors d’un entretien avec Jouyet. Il est acculé au démenti de son propre démenti, c’est-à-dire à l’aveu public de son mensonge. Pour quelqu’un qui se proclame bon catholique, la transgression de la morale chrétienne est patente ! L’UMP de son côté, ne tarde pas ã crier au complot et au scandale et réclame la démission de Jouyet. Quant ã Hollande, il n’ose pas se plaindre d’avoir encore plus de mal ã gérer cet « ami de 30 ans » que ses ennemis patentés… Finalement, rien que de très banal, dans les rangs des politiciens bourgeois.
La transgression des us et coutumes de la presse bourgeoise : des journalistes livrent leurs sources
Ce qui est moins banal, ce sont les rapports entretenus entre le pouvoir et la presse ã cette occasion. Ce scandale a mis en exergue, tout en y faisant exception, la pratique de ce que l’on appelle dans le jargon journalistique le « off the record ». Cette pratique très courante et admise comme une sorte de règle consiste ã recueillir « ã huis clos » des informations dont la source ne sera pas révélée.
En cas de démenti, l’usage veut que le journaliste, pour « prouver sa bonne foi » se contente de dire qu’il détient la preuve. Il ne fournira la preuve que pour « démontrer la véracité » de ce qu’il a énoncé, notamment dans le cadre d’une démarche judiciaire. En l’occurrence les confidences du Secrétaire Général de l’Elysée seraient habituellement restées anonymes. Mais le démenti a provoqué la réaction immédiate des deux journalistes du Monde incriminés, Gérard Davet et Fabrice Lhomme qui ont alors fait usage de leurs preuves et de leurs sources. Cet épisode remet le doigt sur un phénomène qui est connu mais devient de plus en plus évident : l’intrication des rapports entre les médias et le pouvoir politique. La pratique même du « off » qui est une forme de « protection » indique l’influence décisive dont peuvent jouir les professionnels de l’information en choisissant qui ils protègent, ou ne protègent pas, ce qu’ils cachent ou ce qu’ils révèlent, jusqu’où et quand.
La bourgeoisie ne se trompe pas de guerre, nous non plus…
A l’image de l’imbroglio magouilleur monté par Fillon et Jouyet contre Sarkozy, et des remous qu’il provoque, la guerre entre les « politiques » avides de pouvoir, est à la fois cynique, impitoyable mais sans grands dommages pour eux : une dénonciation dans la presse, une démission forcée, une mise à l’écart temporaire pour mieux revenir aux affaires après, des pénalités parfois ou quelques jours de prison dorée, un avenir politique plus ou moins brillant qui décline… d’une certaine manière c’est la guerre en dentelles…
Les bourgeois ne se trompent pas de camp. La vraie guerre, ils la réservent à leurs ennemis de classe. Pour les jeunes des lycées, les étudiants, particulièrement ceux des quartiers défavorisés, qui expriment leur colère face à l’innommable assassinat « d’un des leurs », Rémi, c’est au contraire la répression qui grandit chaque jour en violence : une bourgeoisie horrifiée qui tremble devant les « casseurs », un gouvernement qui dresse sa meute de policiers montés ã cheval devant les grilles d’un lycée, une presse ã charge qui dénonce, tronque, amplifie ã dessein les images et les propos, une justice qui manie l’arme de la garde ã vue et des peines d’emprisonnement. Que les bourgeois se battent entre eux, tant mieux… cela ne peut que les affaiblir, même si on connaît leur capacité ã s’en sortir. Mais dans notre propre camp, nous ne devons pas laisser faire. Se dresser fermement contre la répression est devenu une tâche commune indispensable et urgente pour les jeunes, les militants, les travailleurs dans leur ensemble. La convergence dans des actions centralisées contre toutes les répressions est absolument nécessaire pour porter un coup d’arrêt à la guerre qu’ils nous mènent d’en haut.
19/11/2014