Retour sur le mouvement des indigné-e-s place de la Bastille
Espagne, Grèce...France ?
03/07/2011
Outre ces mobilisations massives, qui font pendant aux processsus révolutionnaires en cours dans le monde arabe, un certain nombre de petits mouvements sont nés de l’exemple espagnol : en Allemagne, en Angleterre, en France, etc., nombreux-ses sont celles et ceux qui ont voulu dire leur solidarité avec leurs homologues de classe de l’État Espagnol, et, vivant les mêmes galères, ont repris leurs mots d’ordre : démocratie réelle maintenant, dignité, refus de payer leur dette, etc. A l’approche de l’été, les initiatives qui ont vu le jour en France n’ont pas réussi ã dépasser un stade embryonnaire pour enclencher véritablement une dynamique propre, capable de canaliser le mécontentement social qui pourtant existe en France aussi. Ceci n’empêche que plusieurs centaines de jeunes ont essayé pendant plus de deux mois d’enclencher une mobilisation sous le modèle de ce qui se passait dans les pays du Sud de l’Europe, ce qui a constitué une expérience de politisation et militantisme non négligeable. L’idée de cet article est de revenir sur les perspectives ouvertes par les indigné-e-s de France, et plus particulièrement celles et ceux rassemblé-e-s à la Bastille, afin de tirer des leçons stratégiques de ce qui s’est passé.
Des éléments intéressants
- Radicalité des mots d’ordre et solidarité internationaliste
A la Bastille, les prémisses du mouvement se sont mises en place sous l’impulsion d’une poignée de jeunes espagnol-e-s étudiant en France, appuyés par quelques Français-es ã peine. Diffusions de tracts et tenues de table étaient organisés, sur les facs et au pieds des marches de l’opéra. Les images impressionnantes venues d’Espagne s’ajoutant ã ce premier travail, de premières AGs importantes (400 personnes environ) ont pu être rassemblées dès la semaine du 23 mai. En ce début de mouvement, les assemblées se tenaient tous les deux jours et leur fonctionnement étaient sain, permettant le débat et le vote. Bien que hétéroclites, leur ton était radical, et l’on entendait avec plaisir les participants expliquer que le point de départ de leur mouvement se situait ã Sidi Bouzid, la ville où Mohammed Bouazizi s’était immolé par le feu six mois plus tôt, déclenchant par son geste le processus révolutionnaire tunisien et la vague de contestation du monde arabe. Assis sur les marche de l’opéra Bastille, on se sentait inscrit dans un vaste mouvement de contestation transcendant les frontières que les bourgeoisies veulent imposer à l’expression politique. Et nombreuses furent les prises de parole appelant ã se tourner vers les quartiers populaires, les lieux de travail, ã s’adresser aux travailleurs-euses avec ou sans emploi, avec ou sans papiers.
C’est que le mot d’ordre principal, celui de « Démocratie Réelle maintenant », mettait en tension différents types de revendications, dont la mise en cohérence permettait d’attaquer les fondements même du système capitaliste. Contre les institutions des classes dominantes et leur simulacre de démocratie, les Indigné-e-s exigeaient le droit de peser sur leur avenir, en se réappropriant les espaces de décision. Et, pour être à la hauteur d’un tel projet, il fallait s’attaquer de front à la précarité et au chômage, aux bas salaires et à la destruction du service public -bref, refuser les plans d’austérité par lesquels les bourgeoisies européennes veulent nous faire payer une crise dont elles sont la cause. C’est en cela que l’objectif de « Démocratie Réelle » pouvait avoir un sens radical et progressiste. Poussé ã son terme, il porte en germe l’alliance de tous les travailleurs-euses et de la jeunesse, comme en 1968, ouvrant ainsi la voie ã une riposte généralisée de notre classe en cette période d’intense conflictualité.
- Ancrage dans une période riche en possibilités révolutionnaires
Car il faut replacer cette mobilisation dans la période que nous vivons pour en bien comprendre les enjeux. La crise du capitalisme qui a commencé en 2008 se poursuit jusqu’aujourd’hui, donnant une nouvelle intensité à la lutte des classes dans tous les secteurs. A l’offensive patronale généralisée répondent de multiples résistances, qui, si elles restent dispersées pour ce qui est de la France, n’en sont pas moins nombreuses et permanentes. Entre le 1er février et le 20 juin dernier, on recense 777 grèves dans notre pays, sans compter toutes celles que la presse n’a pas relayé. Dans la plupart des cas, il s’agit de luttes sur les salaires, ceux-ci n’ayant augmenté que de 1% environ quand l’inflation dépassait les 10% ! Surtout, on a tous en mémoire l’automne chaud qu’a provoqué la remise en cause du système de retraites par répartition, une mobilisation massive et prolongée que peu de gens, y compris à l’extrême gauche, avaient pu prévoir. Plus récemment, les revendications avancées par les Espagnol-e-s et les Grec-que-s sont porteuses en ce qu’elles touchent tou-te-s les travailleurs-euses Européen-ne-s : annulation de la dette, remise en cause d’une Union Européenne construite par les bourgeoisies, fin de l’austérité, etc. Il est clair pour tous ceux et celles qui luttent que le vent de la révolte arabe a traversé la Méditerranée, et que la riposte doit être organisée ici et maintenant.
Outre la modification des conditions matérielles dans lesquelles s’expriment la lutte des classes du fait de la crise, il faut souligner l’évolution en termes de subjectivité que constituent les récentes mobilisations. Après l’automne français, il est devenu difficile aux idéologues bourgeois, ainsi qu’à tous ceux qui théorisaient que le changement social se ferait désormais d’une manière totalement inédite de ce qui s’est passé au vingtième siècle, d’affirmer que la classe ouvrière a disparu. De la même manière, alors que les « intellectuels » s’interrogeaient sans fin sur la compatibilité entre la « démocratie » et le monde arabe, voire l’Islam, les masses de ces pays ont prouvé dernièrement que c’étaient bien elles le moteur de l’histoire, et qu’il n’y avait pas besoin d’être diplômé d’une grande école occidentale pour se lever contre les dictateurs soutenus par l’impérialisme. Grâce ã elles, et avec l’apport significatif de tou-te-s les Indigné-e-s, le mot de révolution a de nouveau droit de cité -il est même sur toutes les bouches ! Cela change grandement la donne pour les révolutionnaires, qui doivent se saisir de cette évolution de la conscience pour discuter politique, et avancer leur programme. Tout en participant de cette évolution qualitative de la subjectivité générale, le mouvement de Bastille constituait donc un forum important, où beaucoup de jeunes ont fait leur première expérience politique. S’il faut s’arrêter un instant sur les contradictions qui s’y sont exprimées, c’est pour combattre la démoralisation qui pourrait venir des blocages qui y ont -aussi- eu lieu.
Mais un mouvement plein de contradictions
- Démocratie ou...bureaucratie réelle ?
Des blocages, il y en avait d’abord dans le fonctionnement de l’AG, dont l’expression politique a été très vite paralysée par des procédures antidémocratiques -un comble pour ce mouvement si soucieux de son organisation interne ! C’est un paradoxe qui doit être analysé, de nombreuses dérives s’étant accumulées, provoquant l’effet inverse de celui voulu par celles et ceux qui les promouvaient. Ainsi la règle du consensus, réputée ã tort être en vigueur dans toute l’Espagne, a-t-elle été adoptée à la va vite, et sans que les participant-e-s de l’AG n’en saisissent les conséquences. Résultat, plus aucune décision ne pouvait être prise, une infime minorité pouvant toujours s’opposer, parfois même sur des points de détails : un mot au sein d’un tract, le parcours d’une marche, etc. A chaque désaccord, après de rapides prises de parole « pour » et « contre », le point discuté était renvoyé à la commission concernée en l’absence de consensus. C’est ã dire que l’AG était empêchée de trancher collectivement, et d’avancer dans la construction politique de son mouvement. Cela a provoqué une grande démoralisation chez les participant-e-s, et les assemblées se sont dépeuplées alors même que des perspectives intéressantes existaient.
Surtout, il faut souligner la cohérence entre ce fonctionnement paralysant et l’importance démesurée qu’ont prises les « commissions » et leur « coordination » au sein du mouvement. A chaque fois que l’on ne pouvait trouver un consensus -autant dire le plus souvent-, la seule perspective de sortie de l’ornière consistait ã créer une commission pour se charger de la thématique soulevée. Dès le début du mois de juin, on avait ainsi une dizaine de ces instances parallèles à l’AG : commission France, Espagne, International, Action, Communication, Campement, Lycées, Démocratie Interne, Juridique, Tribune populaire, et la liste n’est pas terminée ! Bientôt, et très logiquement, ce sont ces commissions qui sont devenues le centre de décision du mouvement. Elles se réunissaient tous les soirs ã 19h, et deux fois par semaine en coordination, alors même que la minorité qui y agissait œuvrait ã ce qu’il n’y ait pas plus d’une AG par semaine. Dans ces conditions, les assemblées se sont transformées en chambre d’enregistrement -ou de refus- du travail de ces commissions en théorie ouvertes ã tous mais qui dans les faits rassemblaient toujours les mêmes personnes, ceux et celles qui en avaient la possibilité matérielle et qui souhaiter participer ã ces batailles parlementaires. Loin d’une démocratie réelle, c’est ã un partage des tâches strict et ã une bureaucratisation du mouvement que l’on a donc assisté. Si bien que la commission communication a pu revendiquer le droit de valider chaque tract avant sa soumission à l’AG, et que certain-e-s se sont exprimé-e-s en faveur d’une spécialisation (la com’ aux graphistes, les questions juridiques aux étudiant-e-s en droit, etc.!). Plusieurs commissions se son structurées en plusieurs pôles, dans une complexification croissante alors même que le mouvement s’effilochait. Et, très logiquement, les rivalités se multipliaient entre membres de cette bureaucratie, et entre cette dernières et les Indigné-e-s qui n’y prenaient pas part. Des confrontations explicite ont même eu lieu eu sein des dernières AGs, ou en coordination, plusieurs personnes s’y étant invité-e-s pour dire la dérive que de telles réunions opaques représentait.
Alors que la période estivale s’approche et va contribuer ã mettre entre parenthèses le mouvement au moins jusqu’à la rentrée, il faut tirer toutes les conséquences de ce fonctionnement absurde et antidémocratiques, qui a profondément essoufflé des énergies contestataires pourtant bien vivantes. Nous devons nous mettre à l’offensive pour affirmer la souveraineté des assemblées, qui doivent être décisionnaires (pour « pacifier » les débats, la coordination a ã plusieurs reprises décidé de ne faire de ces rassemblements pléniers que de simples discussions) et doivent pouvoir voter pour que le mouvement appartienne réellement ã toutes et ã tous.
- Un niveau de conscience qui se situait en deça des mots d’ordre avancés
Comme on l’a dit plus haut, le mot d’ordre de « Démocratie Réelle maintenant » et le niveau politique des discussions initiales, assez radicales, permettait d’espérer l’engagement d’un rapport de force apte ã contester l’offensive actuelle des classes dominantes. Mais, outre le frein qu’a constitué ce fonctionnement bureaucratique, plusieurs limites d’ordre idéologique n’ont pas permis l’expression de cette radicalité. A Bastille comme ailleurs, l’ambiance générale était au « pacifisme », et un secteur important de l’AG souhaitait s’engager dans la construction d’un monde parallèle, ici et maintenant, comme s’il était possible de faire fi de la violence capitaliste environnante et des résistances qu’opposeraient les classes dominantes ã tout progrès démocratique réel. Cela a donné lieu ã de lourdes contradictions, les flics français ayant eu dès le départ pour consigne de tuer dans l’œuf le mouvement des Indigné-e-s. Bien plus que son homologue espagnole, qui n’avait eu ã faire face ã aucune mobilisation massive depuis l’instauration du régime post franquiste en 1978, la bourgeoisie française a appris ã réagir aux mouvements sociaux. Ainsi a-t-on été déplacés manu militari des marches de l’opéra Bastille au moins visible boulevard Richard Lenoir après le grand rassemblement du dimanche 5 juin (3000 personnes). De même, chaque AG était encadrée par un grand nombre de CRS, et les intimidations se multipliaient sans que les Indigné-e-s n’en tirent de conséquences : arrestations, atteinte à la liberté d’expression, jusqu’à la rafle de 150 personnes dimanche 19 juin. Face ã cette répression, la « commission juridique » s’est contenté de poser dans l’abstrait la question de la légalité (« voulez vous la respecter oui ou non ? »), comme s’il s’agissait d’une question purement philosophique. Et, souvent, on a entendu des participant-e-s exprimer le souhait d’aller vers les flics pour leur expliquer notre mouvement, de les considérer comme des personnes comme les autres, etc. Ces conceptions expriment une certaine incompréhension du rapport de force dans lequel s’inscrivent nos revendications.
Dans le même ordre d’idée, deux sujets ont maintes fois focalisé l’attention, dans une confusion assez alarmante entre moyens et objectifs. Le premier d’entre eux était la démocratie interne. Alors même que le fonctionnement bureaucratique du mouvement le poussait à l’enlisement, la commission en charge de cette question réunissait le plus grand nombre de participant-e-s (une vingtaine chaque soir), donnant lieu ã de très nombreuses prises de parole sur les conceptions de chacun-e en termes de démocratie, mais sans jamais s’insurger de ces dérives. Les discussions, abstraites, tendaient ã faire de l’organisation interne du mouvement une fin en soi, au détriment des débouchés politiques réels qu’aurait du susciter l’indignation. Le deuxième sujet, véritable arlésienne du mouvement, consistait ã savoir s’il fallait ou non établir un campement, comme si la question pouvait se poser dans l’abstrait. Une commission a vu le jour sur ce thème, rassemblant tous les fervents défenseurs d’une installation immédiate, qui pensaient que camper serait un acte décisif pour construire le mouvement. Outre que les campements effectifs n’eurent en rien ces résultats -à Bordeaux ou Montepellier par exemple-, puisqu’une mobilisation se construit dans sa capacité ã rassembler sur des bases politiques, les deux tentatives parisiennes débouchèrent sur des échecs révélateurs. Vendredi trois juin, une centaine de personnes ã peine s’étaient réunies après un appel peu clair de l’AG du dimanche précédent. Celles et ceux qui étaient encore là ã deux heures du matin furent dispersé-e-s par la police. Et, dimanche 19, alors que la commission campement avait prévu une installation sans passer par l’AG, la rafle opérée par les flics dans l’après midi ã mis fin ã toute velléité en ce sens.
Outre ces illusions dans la possibilité de construire une « Démocratie Réelle » sans engager de rapport de force avec le système existant, une autre caractéristique du mouvement doit susciter la réflexion : son rejet des partis et syndicat, jusqu’à faire parfois profession d’ « apolitisme ». Il va de soi que cette méfiance vis ã vis des formes institutionnalisées de la vie politique est légitime au vu des trahisons historiques des organisations censées représenter les classes dominées : syndicats devenus cogestionnaires, faisant la politique du patronat, partis réformistes voire sociaux-libéraux. Des trahisons qui sont allées encore plus loin en Espagne et en Grèce, où les partis « socialistes » ont mis en œuvre des plans d’austérité avec l’aide des centrales syndicales. Ce rejet est aussi une forme de radicalité, qui vient contester profondément les formes que la bourgeoisie veut imposer à l’expression politique : mascarades électorales, pseudo démocratie parlementaire, etc., vécues ã juste titre comme des manipulations et des détournements. Mais ce rejet légitime et radical n’empêche pas que la construction d’une riposte généralisée de la part des jeunes et des travailleurs-euses implique elle même une forme d’organisation démocratique permettant la libre expression des courants politiques défendant leurs intérêts, ce que la majorité des Indigné-e-s n’est pas prête ã entendre. Très fréquemment, des attaques ont été proférées à l’encontre de tou-te-s les militants, sans distinction de classe ou de projet. C’est un état de conscience que celles et ceux qui luttent pour l’émancipation doivent pouvoir combattre, en expliquant la différence entre leur engagement et le carriérisme politicien. Dans le cas contraire, la voie est ouverte, paradoxalement, ã toutes les manipulations que les Indigné-e-s craignent. En effet, on a entendu ã de multiples reprises des militant-e-s du Parti de Gauche de Mélenchon prendre la parole sans se présenter, pour rappeler que ce mouvement était anti parti, alors même qu’ils et elles faisaient avancer leur analyse réformiste en termes de « révolution citoyenne » et de lutte contre « l’oligarchie ». De même, notre intervention aurait eu de meilleurs résultats en termes de politisation si nous avions pu nous présenter comme militant-e-s révolutionnaires au sein du NPA. De manière significative quant aux « réflexes militants » en cours au NPA, plusieurs camarades ont jugé aux débuts de notre intervention que nous allions trop loin, que « les gens n’étaient pas prêts ». Il s’agissait à l’époque pour nous de montrer les liens entre mots d’ordres démocratiques et anticapitalisme, en parlant de l’exploitation au travail, dans les quartiers, etc., et en proposant un soutien concret aux luttes qui y sont menées. Au final, une motion de soutien aux travailleurs-euses en grève que nous avions proposé au vote a été largement soutenue, de même que la commission convergence des luttes a suscité une grande motivation ! Cela prouve qu’il faut oser s’expliquer et discuter politique dans les mouvements auxquels nous participons. L’adaptation défensive ã « la conscience telle qu’elle est » ne suffit pas. Autre élément révélateur de l’extrême gauche française : l’absence totale de camarades de Lutte Ouvrière place de la Bastille. Les AGs des Indigné-e-s ne concernaient peut-être pas assez « la classe » selon eux... En plus d’être fausse, cette conception amène ã se couper d’un forum politique important.
Le rejet des institutions, partis et syndicats est une forme de radicalité sur laquelle les révolutionnaires doivent se baser pour discuter politique avec les Indigné-e-s. Nous devons nous mettre à l’offensive, car, en dernière instance, c’est ã un individualisme démobilisateur qu’aboutit cette conception anti organisations un peu trop rudimentaire, à l’exemple de l’appel voté ã Madrid en vue de la préparation de la journée de mobilisation internationale du 19 juin, et qui fut imposé ã Bastille : « Tout un chacun est son propre représentant ». Il faudra bien plus pour aboutir à la Démocratie Réelle !
La commission convergence des luttes (CCL) : étendre le mouvement et l’ancrer dans la conflictualité réelle
- Objectifs et activités de la CCL
C’est dans ce contexte de contradiction intense entre les aspirations des Indigné-e-s et leur activité réelle que les militant-e-s du Courant Communiste révolutionnaires impliqué-e-s ã Bastille sont intervenus en faveur de la création d’une commission chargée d’organiser la jonction entre les luttes menées par les travailleurs-euses et le mouvement des Indigné-é-es. Au sein des premières AGs, nous avons avancé des revendications aptes ã rassembler les différents secteurs exploités, comme la régularisation de tous les sans papiers, l’augmentation des salaires et la titularisation de tous les précaires. Nous étions soutenus par des nombreux participant-e-s, et avons réussi ã faire voter très largement une motion de soutien aux luttes menées par les travailleurs. Mais, ã cette enthousiasme général s’opposait la réticence de la minorité organisant les AGs, qui n’a pas intégré cette motion dans ses tracts, « oubliant » toujours de se conformer au vote. C’est pour cela que nous avons proposé la création d’une commission dédiée à la convergence des luttes, proposition qui là encore obtint une large majorité.
Quel était alors l’objectif de la Commission convergence des luttes, et quelle fut son activité ? Il nous semblait clair -ainsi qu’à un grand nombre d’Indigné-e-s- que la massification du mouvement dépendrait de se capacité ã s’adresser ã tous les secteurs exploités de notre société, afin de transformer une initiative de solidarité envers la jeunesse de l’État espagnol en véritable lutte sociale. Pour cela, il fallait pouvoir rassembler en s’appuyant sur les bagarres existantes, et susciter leur convergence par la formulation de mots d’ordre inclusifs, concernant tout le monde. Contre la sectorisation et le morcellement imposés par la bourgeoisie et acceptés par les directions syndicales, le forum ouvert ã Bastille, avec ses revendications radicales et généralisables, représentait une occasion pour montrer l’avantage que nous aurions ã mettre toutes les forces de notre classe en commun. Alors, pour commencer ã organiser cette convergence, les membres de la CCL (une quinzaine au plus fort de l’activité) sont allés vers plusieurs luttes en cours, et ont organisé la solidarité de l’AG des Indigné-e-s à leur encontre. Ainsi a-t-on pu apporter une centaine d’euros chaque fois aux grévistes de l’Hôpital Delafontaine ã Saint-Denis -qui ont fait plier la direction !, ã celles et ceux du centre d’appel Armatis ã Boulogne, qui luttaient pour leurs salaires, et enfin au Carrefour Market rue de Maubeuge (75018), où une lutte victorieuse a été menée contre le groupe, qui s’arrangeait pour payer ses salarié-e-s en dessous du SMIC ! Et l’on a pu, au cours de ces quelques semaines, repérer un grand nombre de mobilisations, les signaler à l’AG et discuter avec tous les membres de la commissions des moyens de les soutenir et de les réunir. Chaque fois, nous avons rendu compte de notre activité devant des AG très enthousiaste. L’intervention de la déléguée CGT du centre Armatis a ainsi constitué le moment fort de l’assemblée du dimanche 12, qui fut par ailleurs tendue et démobilisatrice.
Dans l’objectif de poursuivre cette activité, nous avions rédigé collectivement un tract qui devait servir ã nous adresser aux travailleurs-euses en lutte. Pour cela, notre texte avançait des revendications concrètes et expliquait la nécessité stratégique de la convergence. Il fut très bien accueilli lors de cette même AG du 12 juin...mais la règle du consensus permit ã une extrême minorité de nous imposer de revoir notre copie. On voit mal, pourtant, comment un tract pourrait être accepté en bloc par 200 personnes différentes ! C’est pour cela qu’il faut défendre le droit d’amendement et de vote au sein des AGs. Dix jours plus tard, aucune AG décisionnaire n’ayant été organisée, nous n’avons toujours pas cet outil de mobilisation, et un groupe de travail appelé par la coordination des commission devrait se pencher sur le cas avant la prochaine assemblée. Ce n’est pas la procédure démocratique qu’il aurait fallu, et qui aurait permis de mener le débat pour la jonction entre la place de la Bastille et les luttes menées en région parisienne.
- Donner des perspectives au mouvement
Quoi qu’il en soit, l’enthousiasme et la curiosité suscitée par notre initiative laisse penser qu’elle était juste et mobilisatrice. La CCL offrait en effet des perspectives d’extension du mouvement, par une activité déterminée et ancrée dans une stratégie claire, loin du mode purement déclamatoire adopté le plus souvent. Alors qu’au fil du temps la composition sociologique des AGs de Bastille s’homogénéisait, les étudiants-e-s plutôt privilégié-e-s y ayant la majorité, il était crucial de créer des ponts avec les secteurs les plus exploités de la société. Cette nécessité reste évidemment d’actualité, et le sera toujours en septembre. Sans extension du mouvement par son inscription dans la conflictualité réelle, le risque serait grand en effet de voir les Indigné-e-s vivoter entre flashmobs et casserolades, bien loin de la mobilisation de masse seule ã même d’engager un véritable rapport de force.
En guise de conclusion : pour une reprise des hostilités dès septembre !
Si le capitalisme est tout aussi violent et destructeur pendant l’été qu’à toute autre période de l’année, les mois de juillet et août sont généralement assez démobilisateurs. Ce qui n’empêche pas les mouvements de se réveiller en septembre, voire d’y atteindre leur maturité, comme ce fut le cas en défense des retraites l’an passé. S’il est donc fort peu probable que les Indigné-e-s de Bastille retrouvent dans les prochains jours les effectifs qu’ils ont perdus au cours du mois de juin, rien n’est donc perdu pour la rentrée ! Malgré les limites que l’on a pointées, des centaines de jeunes et de moins jeunes viennent de vivre une expérience politique importante, la première pour beaucoup d’entre elle-eux. En outre, la période reste bien telle qu’on la décrite, celle d’une intensification de la conflictualité de classe, alors que les marges de manœuvre de la bourgeoisie se restreignent et que la subjectivité des classes dominées a connu un saut qualitatif. La Marche des Indigné-e-s organisée le 19 juin, qui n’a réuni que 800 personnes, n’en avançait pas moins des mots d’ordre assez radicaux, qui faisaient référence à la mobilisation en Grèce : « Pas question de payer leur dette ! ». Les cadres mis en place en ce printemps devront donc être réactivés en septembre, tout en tentant de dépasser la bureaucratisation que l’on a pu y constater, pour tenter de faire de cette expérience un point de départ pour une alliance stratégique entre les jeunes radicalisés et les travailleurs qui ne manqueront pas de raison pour se battre face aux attaques de la crise capitaliste.