Spécial 8 mars, 2012
L’ouvrière en Russie soviétiste
18/03/2012
Dans ce texte de 1920 publié dans Le Bulletin Communiste, Inès Armand, dirigeante bolchévique d’origine française, rappelle les enjeux de la révolution soviétique en termes de libération de la femme. Partant de ce qu’est la condition des travailleuses en régime capitaliste, Inès Armand revient sur le souffle révolutionnaire qu’a représenté Octobre pour toutes celles et ceux qui combattaient pour l’émancipation intégrale du genre humain, et pas seulement sa moitié masculine.
Inès Armand [1]
Le pouvoir soviétiste est le premier ã créer les conditions dans lesquelles la femme pourra, enfin, couronner l’œuvre de sa pleine émancipation.
Au cours des siècles, elle fut esclave. Au début, sous le règne de la petite production, elle le fut dans la famille ; ensuite, lors du développement du capitalisme elle le devint trois fois : dans l’Etat, dans la fabrique et dans la famille.
Il en fut ainsi non seulement dans le régime tsariste, barbare et retardataire, mais il en est encore de même dans les « démocraties » les plus « civilisées » de l’Europe occidentale et de l’Amérique.
Sous le régime bourgeois, l’ouvrière est privée des maigres droits politiques accordés à l’ouvrier. A la fabrique, à l’usine, elle est encore plus opprimée, plus exploitée que l’ouvrier, car le patron use de son pouvoir pour l’opprimer non seulement en tant que prolétaire, mais aussi pour lui infliger toutes sortes d’outrages et de violences en tant que femme. Et nulle part et ã aucun moment, la prostitution, ce phénomène le plus laid, le plus odieux de l’esclavage salarié du prolétariat, ne s’est épanouie plus somptueusement que sous le règne du capitalisme.
Les ouvrières, les paysannes, sont esclaves dans la famille, non seulement parce que sur elles pèse le pouvoir du mari, mais aussi parce que la fabrique, qui arrache les ouvrières au foyer familial, ne les délivre pas en même temps des soucis de la maternité et de l’économie domestique, transformant ainsi la maternité en une croix lourde, insupportable.
Aussi longtemps qu’exista le pouvoir bourgeois, l’ouvrière, la paysanne ne purent s’affranchir de cette triple servitude, qui est la base sur laquelle repose le régime bourgeois et sans laquelle il ne peut exister.
Le pouvoir soviétiste, le pouvoir du prolétariat, ouvre largement les portes devant la femme, et lui donne la possibilité absolue de s’émanciper.
La constitution soviétiste a déjà doté les femmes de tous les droits politiques et civiques. Les ouvrières, les paysannes, jouissent des mêmes droits de vote que l’ouvrier et le paysan. Elles peuvent au même titre que les hommes élire et être élues ; elles peuvent occuper l’emploi qui leur convient dans les comités d’usine, dans les institutions soviétistes, jusqu’à celui de commissaire du peuple.
La socialisation de la production, l’expropriation des capitalistes et des grands propriétaires, mènent ã un anéantissement complet de toute exploitation et de toute inégalité économique.
En Russie soviétiste, l’ouvrière à la fabrique, à l’usine, n’est déjà plus une esclave salariée, mais une maîtresse nantie de tous les droits qui, ensemble et de pair avec l’ouvrier, par l’intermédiaire des institutions soviétistes et des syndicats, organise, administre, dirige toute la production et la répartition
Il en est de même de la famille et du mariage. Le pouvoir soviétiste a déjà réalisé l’égalité complète des droits du mari, et de la femme. Le pouvoir du mari, du père n’existe plus. Les formalités du mariage et du divorce ont été réduites au minimum, ã de simples déclarations des personnes intéressées dans les commissariats correspondants.
Le pouvoir soviétiste a supprimé toute différence de droits entre l’enfant « légitime » et l’enfant « illégitime ». Ainsi a été supprimée une des plus mauvaises manifestations de l’iniquité bourgeoise. En Russie soviétiste, il n’y a plus « d’enfants illégitimes ». Pour elle tous les enfants sont dans la même mesure ses futurs citoyens, qui tous ont droit ã ses égards et ã ses soins.
Le pouvoir soviétiste tend ã prendre sur lui toute leur éducation et l’instruction, dès les premiers jours de leur naissance jusqu’à l’âge de 16 ou 17 ans. Il aspire ã prendre sur lui tout l’entretien des enfants.
Sous le règne du capitalisme, les enfants des prolétaires étaient, dès leur plus tendre enfance, privés par la fabrique, par l’usine, des soins maternels, tandis que le gouvernement bourgeois ne faisait preuve à leur égard d’aucun souci. De sorte que les enfants prolétariens s’atrophiaient physiquement et moralement, languissaient, mouraient.
Le pouvoir soviétiste, d’ores et déjà , en dépit de la désorganisation, du blocus, des agressions ininterrompues des gardes blancs, de difficultés inouïes, assure partiellement l’entretien public des enfants (une partie des produits se délivre gratuitement par carte d’enfants ; des réfectoires gratuits, des cantines scolaires sont créées). L’instruction est partout gratuite, ã partir de l’école élémentaire jusqu’aux universités et écoles supérieures. Des crèches, des jardins d’enfants sont créés. Dans les écoles, les enfants sont fournis de chaussures et de vêtements. La prévoyance sociale prend constamment plus d’ampleur, sous la forme de protection de la maternité, de l’enfance, création de maisons de maternités, de maisons et de foyers d’enfants, de crèches, de jardins d’enfants.
Le travail est interdit aux enfants jusqu’à l’âge de 16 ans. De 16 ã 18 ans, ils ne travaillent que 6 heures par jour. Les mères sont libérées de tout travail huit semaines avant leurs couches et autant après, et pendant tout ce temps il leur est alloué des secours qui équivalent à leur salaire quotidien. De plus, une série de décrets ont été édictés, qui protègent la femme en état de grossesse, et en général sur la protection du travail de la femme.
D’ores et déjà , je le répète, en dépit de difficultés inconnues jusqu’alors, on peut dire avec certitude qu’en Russie soviétiste les soins de la mère et de l’enfant sont mieux organisés que partout ailleurs. Et ce ne sont que les premiers pas.
De plus, au moyen de la création des réfectoires publics, la cuisine disparait peu ã peu de l’économie domestique.
Le pot-au-feu, tant vanté par les bourgeois, mais qui, du point de vue de l’économie, n’est pas du tout conforme au but, est pour les paysannes et en particulier pour les ouvrières une peine insupportable qui leur enlève jusqu’au dernier loisir, les privant de la possibilité d’aller aux réunions, de lire, et de prendre part à la lutte de classe : le pot-au-feu, dans le régime bourgeois, en favorisant l’ignorance et le caractère retardataire des ouvrières est, de cette façon, un des meilleurs auxiliaires du bourgeois dans sa lutte contre l’ouvrier.
Le régime soviétiste est le régime de transition du capitalisme au communisme, qu’il est impossible de réaliser sans l’émancipation absolue de tous les exploités et par conséquent de la femme. Voilà pourquoi dans le régime soviétiste se brisent et volent en éclats toutes les chaînes qui, pendant des siècles, avaient opprimé l’ouvrière et la paysanne. Dès les premiers jours qui suivirent la révolution d’octobre, les ouvrières comprirent parfaitement que pour elles s’ouvrait une ère nouvelle de pleine émancipation.
A leurs premières conférences (conférence de Moscou, en mai 1918, conférence de la province de Moscou, en juin 1918, et conférence panrusse en novembre 1918, à laquelle assistaient plus de mille délégués, représentants de plus d’un million de prolétaires) [2], les ouvrières notèrent ce fait. Dans sa résolution sur la question familiale, la conférence de la province de Moscou indique qu’avec le passage du pouvoir aux mains des Soviets, non seulement la complète émancipation politique et civique des ouvrières est devenue possible, mais aussi la suppression absolue ã son esclavage de sexe et de famille, et que maintenant il appartient d’élucider et d’élaborer les conditions de cette émancipation. Dans les résolutions du congrès panrusse, au sujet des tâches de l’ouvrière, entre autres il est dit :
« Le pouvoir soviétiste, après avoir donné une émancipation intégrale ã toute la classe ouvrière, après avoir réalisé l’égalité en droits de l’homme et de la femme, a fait l’ouvrière au même titre que l’ouvrier les maîtres absolus de la vie, après leur avoir donné la possibilité de l’organiser, comme cela est nécessaire à la classe ouvrière et à la classe pauvre de la ville et de la campagne.
Par suite de la révolution d’octobre, par suite du passage du pouvoir aux mains des Soviets, l’affranchissement complet des ouvrières au moyen de la suppression des vieilles formes de la famille et de l’économie domestique, devient non seulement possible mais est une des conditions nécessaires de l’instauration du socialisme. »
Dans cette même résolution ont été formulées les tâches posées devant les ouvrières en Russie soviétiste. Ces tâches sont fixées de la manière suivante :
« La première conférence panrusse des ouvrières constate une fois de plus que pour celles-ci il n’y a pas de tâches spécifiquement féminines, distinctes des tâches communes du prolétariat, car les conditions de leur émancipation sont les mêmes que celles du prolétariat tout entier, c’est-à-dire la révolution prolétarienne et le triomphe du communisme... au moment où la révolution socialiste universelle se développe, exigeant la plus grande tension de toutes les forces prolétariennes tant pour le développement et la défense de la révolution russe que pour l’organisation socialiste, chaque ouvrier, chaque ouvrière doit devenir un soldat de la révolution, prêt ã donner toutes ses forces pour le triomphe du prolétariat et du communisme ; par conséquent la tâche essentielle de l’ouvrière est la participation la plus active dans toutes les formes et aspects de la lutte révolutionnaire, tant sur le front qu’à l’arrière, tant par la propagande et l’agitation que par une lutte armée directe... De plus... constatant que les vieilles formes de la famille et de l’économie domestique comme un lourd fardeau pèsent sur l’ouvrière et l’empêchent de devenir un combattant de la révolution et du communisme et que ces formes ne peuvent être abolies que par la création de nouvelles formes d’économie, la conférence considère que l’ouvrière, en prenant la part la plus active dans toutes les manifestations de la nouvelle organisation, doit porter une attention particulière sur la création de nouvelles formes d’alimentation, de répartition publiques, grâce auxquelles la vieille servitude familiale sera abolie. »
Dans les résolutions concernant le parti communiste, il est dit que les ouvrières sont appelées ã devenir, non seulement en paroles, mais en réalité, membres du parti communiste, et ã entrer dans les rangs des organisations correspondantes où l’ouvrière et la paysanne pourront comprendre le programme du parti communiste et devenir des membres conscients de ce parti.
Dans la résolution au sujet de la révolution internationale, la conférence, en indiquant que dans les flammes de l’insurrection mondiale des ouvrières et ouvriers se consume le vieux monde capitaliste et avec lui l’esclavage de la femme, convie les ouvrières et les paysannes de tous les pays ã se lever sous le drapeau du parti communiste pour maintenir la victoire de la révolution universelle.
Dans cette même résolution de la conférence panrusse au sujet de la famille bourgeoise et capitaliste, qui pour la femme était une servitude... « L’économie collective doit remplacer l’économie domestique et affranchir l’ouvrière en tant que ménagère. L’éducation et l’entretien des enfants au compte du gouvernement ouvrier (dans les crèches, jardins d’enfants, colonies, etc.), doivent supprimer les soucis matériels du père et de la mère... Une union libre, mais solide par les liens spirituels de camaraderie de deux citoyens égaux de l’état ouvrier, tel est le nouveau mariage prolétarien. »
Au sujet de la prostitution, la résolution comporte ce qui suit : « ...partant de ce que les racines de la prostitution sont profondément ancrées dans la société capitaliste, la première conférence panrusse des ouvrières et paysannes pauvres convie ã combattre la prostitution non seulement par la fermeture des maisons de tolérance, non seulement par la punition des tenancières... mais par l’extirpation de toutes les survivances du régime capitaliste, au moyen de l’application de l’assurance de la maternité, de la réalisation de l’éducation des enfants, et du remplacement de la famille bourgeoise par le mariage libre... »
Dans la résolution de la conférence du gouvernement de Moscou se retrouve encore une proposition sur « l’application d’une égalisation toujours plus grande des ouvriers et ouvrières de toutes catégories. »
Ainsi les ouvrières ont parfaitement compris que leurs nouveaux droits et nouvelles libertés n’aideront réellement le développement et la victoire de la révolution que lorsque, non seulement une petite avant-garde, mais les masses d’ouvrières elles-mêmes seront entraînées ã prendre une part active à la vie du parti et des Soviets, et que par conséquent, devant les ouvrières d’avant-garde se pose précisément la tâche d’entraîner cette masse dans la lutte révolutionnaire pour le communisme.
Ce n’est pas une tâche des plus faciles. Il appartient d’intéresser à la lutte révolutionnaire, à l’œuvre d’organisation, d’administration, les éléments les plus retardataires, les plus ignorants des masses ouvrières ; il faut conquérir le bas peuple qui jusqu’alors dans tous les pays n’offrait qu’un terrain peu propice à l’agitation et à la propagande, et qu’aucun parti n’a encore réussi ã gagner.
Sous le règne du capitalisme, les ouvrières et paysannes sont absolument écartées de toute vie publique et politique, tant par les conditions de la vie de famille bourgeoise que par leur absence de droits politiques. Grâce ã cela, lors du passage du pouvoir aux mains des Soviets, lorsque devant la classe ouvrière s’est dressée l’œuvre d’administration et l’œuvre complexe et difficile de la nouvelle organisation, les ouvrières, dans leur ensemble, se sont montrées encore plus inexpérimentées que les ouvriers. Pour attirer avec succès les ouvrières à la cause commune, il était nécessaire en premier lieu de les aider ã apprendre comment travailler ; de leur faire comprendre où et comment elles pourraient employer leurs forces.
Il était nécessaire d’élaborer de nouvelles méthodes de propagande, de nouvelles façons d’aborder les ouvrières et les paysannes adaptées à leurs particularités psychologiques et aux nouvelles tâches qui les attendent. Ici la propagande par l’action acquiert une signification particulière, c’est-à-dire la propagande qui amènerait directement les ouvrières et les paysannes ã prendre part ã telle ou telle organisation soviétiste ou autre travail.
Des assemblées de déléguées d’ouvrières ont été organisées, qui ont rendu dans ce sens les plus grands services. Ces assemblées de déléguées sont formées de représentantes de toutes les fabriques et usines d’un rayon donné, élues dans les réunions générales des différentes entreprises. Les assemblées de déléguées sont des institutions grâce auxquelles les ouvrières apprennent en pratique comment doit être menée l’action soviétiste, comment employer leurs forces et leur énergie révolutionnaire dans la lutte commune du prolétariat et à l’organisation. D’autre part, ces assemblées sont une magnifique liaison entre les institutions soviétistes et les masses d’ouvrières.
Les délégués se décomposent en groupes de personnes travaillant dans telle ou telle section soviétiste (jusqu’à présent surtout dans l’assurance sociale du travail, dans l’instruction publique, dans la préservation de la santé) et là , mènent une action pour l’inspection et le contrôle des asiles, des refuges, des jardins d’enfants, des écoles d’écriture et de lecture et autres, ainsi que pour leur création ; pour le contrôle et l’inspection des réfectoires et des cuisines et pour la suppression des abus et des désordres ; pour l’observation dans les écoles de la répartition régulière des chaussures, des vêtements ; pour le recueillement de renseignements à l’usage des inspecteurs du travail ; pour le contrôle d’une application parfaite des règlements sur la protection du travail de la femme et de l’enfant. Organisation des ambulances et hôpitaux et soins et visites aux blessés et malades. Inspection et contrôle des casernes, participation à la milice. Action pour la juste distribution de la ration des gardes rouges, pour amener les ouvrières ã prendre une part plus active dans toutes les formes de direction et d’administration de la production, etc.
Les sections, de leur côté, mettent les ouvrières au courant de leurs travaux, les font entrer aux écoles et aux cours qu’elles ont ouverts pour telle ou telle branche du travail soviétiste (cours de prévoyance sociale, d’instruction préscolaire, cours d’infirmières rouges, de brancardières, etc.).
De plus les déléguées, continuant leur action dans leur usine ou fabrique, font des rapports périodiques à leurs électeurs sur leur activité et sur celle des sections dans lesquelles elles travaillent, organisent dans les usines un tour de service pour écouter les revendications, les plaintes et connaître les besoins des ouvrières.
Les délégués prennent une part active dans toutes les campagnes entreprises par le parti, par les soviets (chauffage, rentrée des récoltes, approvisionnement, secours aux blessés, lutte contre les épidémies, trains d’agitation dans les provinces, etc., etc.). Les assemblées de déléguées se réunissent deux ou quatre fois par mois. Dans ces derniers temps, ã Moscou et dans quelques autres localités, la norme de la représentation a été abaissée ; les déléguées sont élues ã raison de une sur vingt ouvrières. De la sorte, par l’intermédiaire des assemblées de déléguées, on réussit ã gagner les grandes masses d’ouvrières qui deviennent de plus en plus des réserves dans lesquelles le parti et les soviets peuvent puiser des forces nouvelles. Les « semaines du parti » l’ont prouvé abondamment. A Moscou, par exemple, où pendant la semaine du parti se sont inscrits dans celui-ci près de 15000 nouveaux membres, et dans ce nombre quelques milliers d’ouvrières, un grand pourcentage fut donné précisément par les assemblées de déléguées.
Les conférences d’ouvrières sans parti ont une grande importance de propagande ; elles se réunissent dans les différentes villes, gouvernements, districts, environ tous les trois ou quatre mois (dans toute la Russie une seule conférence a été convoquée l’an passé). Ces conférences se sont révélées comme un excellent moyen pour agiter et réveiller les masses demeurées étrangères au mouvement et, dans ce domaine, ont donné de bons résultats (en ce moment, les paysannes sont intéressées ã ces conférences). En octobre dernier, par exemple, ã Moscou, s’est tenue une conférence de sans-parti à laquelle assistaient plus de 3000 déléguées, représentant de 60000 ouvrières moscovites (on compte ã Moscou, environ 180000 ouvrières).
La propagande et l’agitation sont aussi menées par la parole et par la presse. Presque dans chaque organe du parti paraît la « page de l’ouvrière ».
Nous pouvons dire sans aucune exagération (quels que soient les défauts et les lacunes de notre action) que les résultats obtenus pour cette année ont dépassé notre attente. Il y a un an, il n’existait qu’un tout petit groupe d’ouvrières conscientes ; l’état d’esprit du reste de la masse ouvrière était révolutionnaire, mais encore instinctif, inconscient, inorganisé.
Actuellement, il s’est formé des cadres suffisamment nombreux d’ouvrières conscientes – membres du parti communiste – qui au cours de cette année ont réussi ã accomplir tel ou tel travail soviétiste ou de parti.
De talentueuses ouvrières propagandistes ont été formées, et en ce moment des ouvrières publicistes sont en voie d’éducation.
Le mouvement des ouvrières a déjà gagné les grandes masses et devient une force politique considérable. C’est ã Petrograd, ã Moscou, dans les gouvernements de Moscou et d’Ivano-Voznecensk que le travail a le mieux marché. Mais, il n’y a pas de doute que c’est ã Petrograd que les ouvrières sont les mieux organisées et les plus conscientes. Dans les autres gouvernements une action est entamée qui dans certaines localités marche suffisamment bien. A la conférence panrusse des organisations du parti pour le travail parmi les femmes, se trouvaient les représentants de 28 gouvernements ; ceux de l’Oural, d’Oufa, d’Orenbourg, d’Astrakhan, n’avaient pu arriver, quoique là bas une action soit aussi menée. Ainsi le mouvement des ouvrières embrasse toute la Russie.
Les ouvrières firent preuve de magnifiques capacités d’organisation et de travail. Elles ont déjà réussi, en dépit de difficultés inconnues ã prêter main forte aux sections soviétistes, ã créer un nombre important de crèches, de jardins d’enfants, d’écoles, de réfectoires publics, etc. Et au fur et ã mesure que l’ouvrier est obligé d’aller au front, dans l’armée rouge, pour défendre le pouvoir soviétiste contre les agressions de Denikine, de Youdenitch, des impérialistes de l’Entente, l’ouvrière le remplace non seulement à la fabrique et à l’usine, mais dans les soviets, dans les syndicats, dans la milice, etc. Et nombreuses furent les ouvrières qui voulurent sur le front se battre côte ã côte avec l’ouvrier contre les gardes blancs.
Au cours de cette année les ouvrières se sont définitivement persuadées que pour avoir la possibilité d’organiser tranquillement une vie nouvelle, pour mettre un terme à la crise du transport et alimentaire, il est nécessaire d’en finir avant tout avec la force armée des Youdenitch et des Denikine ; il est nécessaire de porter un coup définitif aux forces de la bourgeoisie et de mettre fin aux tentatives d’étrangler le pouvoir soviétiste. C’est pour ces raisons que les ouvrières, au cours de ces deux derniers mois, ont porté la plus grande partie de leur attention sur le plus large soutien de l’armée rouge.
Maintenant que nous infligeons ã Denikine un coup décisif, elle pourra ã nouveau, naturellement sans oublier, ne serait-ce qu’un instant, son action dans l’armée rouge, donner plus de forces aux autres tâches.
A la face de l’ennemi impérialiste, la prolétaire russe s’est montrée vraiment digne de son camarade prolétaire. Elle n’a pas cessé de s’affirmer toujours prête ã consentir toutes sortes de sacrifices, afin d’en finir avec les forces de la bourgeoisie. Elle disait aux ouvriers : « Certainement que cela nous est difficile, pénible, mais partez au front, ne pensez pas ã nous, nous vous remplacerons, nous en viendrons ã bout ». Pendant la dernière offensive de Denikine les ouvrières de Toula déclarèrent, dans une résolution prise à l’unanimité, que Denikine n’entrerait ã Toula qu’en passant sur leur corps. De telles déclarations furent faites en maintes autres villes
Contre Denikine, Youdenitch, s’est dressée toute la Russie ouvrière, prête ã tous les efforts et aux pires tourments rien que pour sauvegarder le pouvoir soviétiste.
Le pouvoir soviétiste fait pénétrer ses racines jusqu’au plus profond de la classe ouvrière. Pour sa défense, il a su soulever les éléments les plus retardataires et les plus obscurs. Et c’est là qu’est la meilleure garantie de sa solidité et de son invincibilité.
Les femmes bourgeoises haïssent le pouvoir soviétiste et s’efforcent, autant que faire se peut, de le ternir aux yeux des masses, ne s’arrêtant pour cela devant aucun mensonge, même le plus invraisemblable et le plus ridicule.
En automne dernier, les représentants des cercles impérialistes français et anglais mettaient en circulation cette calomnie odieuse et stupide que soi-disant le pouvoir soviétiste « avait socialisé », ou « nationalisé » les femmes.
A cette occasion, les mondaines et les demi-mondaines de Paris et de Londres avaient cru nécessaire de s’adresser solennellement au tigre impérialiste Clemenceau, avec cette prière de défendre les femmes russes contre la bestialité du pouvoir soviétiste.
Une pareille accusation portée contre les communistes n’est pas une nouveauté. Marx, déjà dans le « Manifeste communiste », en des termes impérissables, flétrissait et ridiculisait cette invention bourgeoise.
Et c’est une véritable honte que le représentant de la deuxième Internationale Kautsky eut l’impudence de soutenir et de répéter cette ignoble calomnie contre le pouvoir soviétiste.
Toutes ces tentatives de détacher les ouvrières, de les insurger contre la révolution, ne conduiront assurément ã rien. Parmi les ouvrières des autres pays, la constitution, les décrets du pouvoir soviétiste, toute son activité, de même que les résolutions et les déclarations des ouvrières russes elles-mêmes sont la meilleure et la plus irréfutable des réponses. Ces messieurs de la deuxième Internationale ne gagnent en l’occurrence que la haine et le mépris des ouvrières de tous les pays. Chaque ouvrière de Russie répondra ã ces messieurs ã peu près ceci : Sous le règne du capitalisme, nous étions esclaves, on trafiquait de nous dans le mariage et en dehors de celui-ci. Sous le règne du pouvoir soviétiste, nous avons réussi les premières ã nous débarrasser de notre fardeau ã nous sentir des êtres libres. Ce qui nous parut n’être qu’un rêve lointain, un conte magnifique et que nous craignions de croire, devient maintenant possible, palpable, réalisable, et d’ores et déjà nous commençons ã instaurer le communisme.
Il est ridicule de nous rappeler en arrière !... Quels que soient les efforts des dames de la bourgeoisie et de leurs auxiliaires de la deuxième Internationale, ils ne réussiront pas ã faire dévier l’ouvrière de sa route.
Car elle a déjà fait son choix. Elle va avec le pouvoir soviétiste, avec la troisième Internationale, contre vous, messieurs !
Hélène BLONINA.
NOTASADICIONALES
[1] Article paru dans le numéro 17 du Bulletin communiste (première année), le 8 juillet 1920, sous le pseudonyme d’Hélène Blonina. Elisabeth Pécheux d’Herbenville, plus connue sous le nom d’Inès Armand, naît ã Paris en 1874. Fille d’un chanteur d’opéra et d’une comédienne, sa mère s’installe ã Moscou à la suite du décès de son père. Elle se rapproche très tôt des idées sociales, rompant avec son milieu, au point de rejoindre la fraction bolchévique au sein du Parti ouvrier social-démocrate de Russie. Emprisonnée ã plusieurs reprises pour sa participation à la Révolution de 1905, c’est une proche de Lénine lorsque ce dernier s’exile ã Paris ã partir de 1909. Rentrée en Russie avec la Révolution de 1917, elle devient membre exécutif du soviet de Moscou. Elle dirige également le Zhenotdel, chargé des questions féministes au sein du Comité Central du Parti, et fonde Kommunitska, organe de presse de diffusion large chargé de ces mêmes questions. Elle meurt du choléra en septembre 1920, à l’âge de 46 ans. Elle est enterrée sur la Place Rouge, ã Moscou.
[2] Voir l’intervention d’Alexandra Kollontaï ã ce congrès, publiée en français sous le titre « La famille et l’Etat communiste » dans Le Phare (études et documentation socialistes) N°8 du 1° avril 1920, disponible sur http://www.marxists.org/francais/kollontai/works/1918/11/famille.htm