FT-CI

Après les résultats du second tour des présidentielles

La gauche est de retour aux affaires mais c’est l’austérité et la rigueur budgétaires qui restent au pouvoir

10/05/2012

Par Jean-Patrick Clech

Après dix-sept années de pouvoir de droite, et après un quinquennat sarkozyste des plus réactionnaires, les socialistes sont finalement revenus au plus haut niveau de l’Etat. Dans le monde du travail, chez les jeunes, nombreux sont les électeurs qui ont glissé un bulletin PS dans l’urne pour refermer la parenthèse Nicolas Sarkozy qui n’avait que trop duré.

Beaucoup sont ceux qui n’avaient pas voté socialiste au premier tour mais qui ont finalement opté pour Hollande pour mettre un terme au règne de Sarkozy, un quinquennat marqué par une extrême brutalité sociale, un mépris profond à l’égard des classes populaires, un racisme et une islamophobie quasiment transformés en idéologie d’Etat, l’apologie de l’argent roi, l’étalage du bling-bling et la collusion avec les riches, la bourgeoisie et le patronat.

De là ã dire que Hollande représente l’antithèse de Sarkozy, non seulement sur la forme, mais surtout sur le fond, il y a de la marge… Le futur président socialiste a inscrit dans son programme la nécessité de « rétablir le dialogue social ». Il entend cependant poursuivre, sur le fond, l’entreprise de démolition sociale et d’offensive contre le monde du travail initiée par la droite et avant elle, déjà , par le gouvernement Jospin. Il y aura certes des postes d’enseignants et de personnels de l’Education en plus, mais sans augmentation des effectifs de la fonction publique. On déshabillera Pierre pour habiller Paul en quelque sorte. Les soixante ans comme âge de départ à la retraite ne seront maintenus que pour une infime proportion de salariés. Pour les autres, ce sera l’allongement des annuités de cotisation et le maintien des réformes Fillon et Woerth-Sarkozy. Hollande a certes refusé de rencontrer la patronne du Medef, Laurence Parisot. Cependant, dans son équipe, tous les poids lourds ministrables, ã commencer par Jean-Marc Ayrault, Michel Sapin, Jérôme Cahuzac, Alain Rousset ou Alain Vidalies, ont multiplié les entretiens avec le patronat. Sur une autre thématique sensible comme l’immigration, Hollande a presque réussi a gagner la bataille de la démagogie raciste contre Sarkozy, en soulignant combien la droite avait été plus permissive que la Gauche plurielle entre 1997 et 2002 en termes d’entrées sur le territoire. De son côté Marisol Touraine a soutenu partout, ã qui voulait bien l’entendre, qu’il était absolument hors de question de procéder ã une régularisation un tant soit peu importante des travailleurs sans-papiers, parce qu’ils contreviendraient au droit de la République (tout en profitant aux patrons négriers).

Des deux visages de l’austérité, c’est le candidat de la gauche bourgeoise qui l’a emporté, face ã celui de la droite conservatrice et réactionnaire. En dépit de sa modération politique extrême et de la grande timidité de son programme économique, c’est le candidat socialiste qui l’a emporté. Mais, outre le rejet du sarkozysme (le meilleur atout du candidat Hollande, tant était grand le rejet du président sortant dans de larges couches de la population), la victoire socialiste s’explique aussi par la nécessité, pour une fraction du patronat et de la bourgeoisie, de changer de cheval. Ceci afin d’affronter la crise, avec d’autre armes, d’autres instruments et une méthode moins risquée et moins coûteuse que celle mise en œuvre pendant cinq ans par la droite au pouvoir.

Ce n’est pas la première fois que la gauche est appelée aux affaires dans un contexte de grandes difficultés. Dans des situations bien distinctes, il suffit de penser au Front Populaire de 1936, au rappel de Mendès-France et de Mollet sous la IV° République (avant que la bourgeoisie ne fasse le choix du coup d’Etat gaulliste de 1958) pour se sortir du bourbier colonial. Il suffit de songer à l’Union de la gauche et ã 1981, lorsque le mitterrandisme permit de mettre un terme au giscardisme (émaillé de scandales et affaibli par la crise des années 1970) mais également de porter un coup d’arrêt définitif ã ce qui pouvait subsister des « années 1968 ». Il suffit, enfin, de penser ã 1997 et à l’arrivée de la Gauche plurielle ã Matignon. Après la grande grève de l’hiver 1995, symptôme d’un début de changement de situation politico-sociale après les années de l’offensive néolibérale, la bourgeoisie française décida elle aussi de recourir à la « troisième voie » et au social-libéralisme pour affronter la nouvelle situation.

La victoire de Hollande au second tour ne signifie cependant en aucun cas que le nouvel exécutif de gauche sera ã même de répondre aux exigences du patronat et de la bourgeoisie.

Dans le cas le plus probable où il dispose d’une majorité parlementaire de gauche à l’Assemblée, il n’est pas assuré que Hollande puisse poursuivre voire approfondir une politique d’austérité et de rigueur en lui donnant une forme plus acceptable et consensuelle, notamment ã travers le rétablissement d’un dialogue social avec la bureaucratie syndicale.

L’autre élément structurel marquant de ce second tour, c’est qu’en dépit de l’écart somme toute assez réduit entre Hollande et Sarkozy, l’élection n’annule en rien la crise des mécanismes de représentation démocratiques-bourgeois qui avait refait surface clairement le 22 avril, avec un FN en troisième position et deux tiers d’électeurs faisant le choix de partis se situant peu ou prou en dehors du champ bipartite traditionnel de la V° République.

Pour ce qui est, enfin, de son programme économique, une certaine presse qui a fait campagne pour le PS, à l’image de Libération ou Le Monde, n’hésite pas à le qualifier de façon exagérée de « New Deal ». On est très loin du compte, comme nous essaierons de l’analyser, mais de plus, il y a fort ã parier que, même du strict point de vue capitaliste, il sera parfaitement impuissant pour renverser la vapeur et tirer le pays de la crise.

Une crise politique latente et une droite parlementaire fragmentée, tentée par les sirènes frontistes

Pour ce qui est des éléments de crise politique et des brèches ouvertes dans les mécanismes de représentation démocratiques-bourgeois qui ont émergé à la suite du premier tour et que le second est loin d’avoir résolus, la comparaison avec 1981, invoquée à l’envi par l’ensemble de la presse française, est des plus éclairante.

Il suffit de se référer aux taux de participation et d’adhésion au scrutin. Le 6 mai, la participation a légèrement augmenté, mais pas au point d’atteindre les cinq points de plus entre premier et second tour de 1981. Ceux-ci témoignent d’une implication électorale plus importante et profonde, ainsi que d’une vague d’adhésion au projet d’Union de la gauche incomparablement plus important. Le nombre de bulletins blancs, au soir du second tour, a quant à lui été multiplié par trois par rapport au 22 avril. Il ne s’agit pas uniquement, comme veulent le croire certains analystes, des bulletins lepénistes. En effet, l’électorat frontiste traditionnel (petits commerçants, petits artisans, agriculteurs) s’est largement reporté sur Sarkozy tandis que les ouvriers et employés ayant voté Le Pen au premier se sont reportés, eux, sur la candidature Hollande [1]. Dans les deux cas, on est loin d’un renforcement structurel des mécanismes de représentation démocratiques-bourgeois.

L’autre élément permettant de mesurer la crise latente du système bipartite français est ã chercher du côté de la crise patente de la droite hexagonale. Si la droite parlementaire rassemblait prés de la moitié des suffrages à l’issue du premier tour en 1981, elle n’a recueilli, cette fois-ci, que moins d’un tiers des voix. Alors certes, Sarkozy n’a pas été balayé au second tour mais simplement évincé, avec ses 48,37%. Il a même fait un meilleur score que Ségolène Royal en 2007. C’est en partie dû au fait que la modération de Hollande était le meilleur atout pour Sarkozy afin de se placer, comme en 2007, en candidat de la rupture, aussi absurde que cela puisse paraître puisque c’est lui et les siens qui ont été aux commandes pendant cinq ans. Cela n’a pas suffi pour refaire le retard sur Hollande, notamment parce que le sarkozysme en tant que phénomène politique s’est brisé, au cours du quinquennat, sur des résistances sociales qui ont certes été défaites mais qui ont fait payer au prix fort à la bourgeoisie les réformes qu’elle voulait mettre en place (réforme des universités, service minimum, réforme des retraites, etc.). La droite, par ricochet, sort extrêmement fragmentée des élections. Il suffit de regarder de plus prés la contre-performance réalisée par l’UMP au second tour. Hormis des bastions de la droite comme Nice, Toulon ou Aix, les métropoles de l’Hexagone ont complètement échappé ã Sarkozy, lui qui était arrivé en tête dans une moitié d’entre elles en 2007 (18 sur 38) [2].

L’UMP tente d’afficher, tant bien que mal, son unité jusqu’aux législatives. Nombre de voix se font entendre en son sein et qui montrent la crise que traverse la droite parlementaire, ã commencer par la décision de Juppé de ne pas se présenter aux élections ã Bordeaux, de peur de perdre. Du côté des « modérés », ce n’est pas en raison de leur soi-disant « humanisme » que les Raffarin ou autres Méhaignerie poussent des hauts cris contre la droitisation de la campagne de l’UMP. Ils ne souhaitent pas se retrouver otages du FN ã cause du discours tenu par certains ténors de leur parti. Ceux-ci s’adonnant ã des déclarations dans Minute comme Longuet (ministre de la Défense), Mariani (ministre des Transports, de la droite populaire), rompent avec la traditionnelle tactique du « front républicain » et défendent l’option « ni-ni » (ni PS, ni FN en cas de triangulaire). Une façon de reconnaître qu’au bout du compte, entre les socialistes et la droite lepéniste, c’est plutôt du côté frontiste que leur cœur balance. L’UMP, le parti créé par Chirac au soir du 22 avril 2002 sur la base du RPR et de l’UDF pour offrir un pôle de stabilité politique à la bourgeoisie, est aujourd’hui taraudé de l’intérieur par des dissensions extrêmement fortes. Celles-ci pourraient, si ce n’est le faire imploser, du moins le rendre inopérant comme force politique d’alternance face ã un PS que rien n’assure de rester au pouvoir cinq ans, au vu de la profondeur de la crise. Il s’agit-là d’une très mauvaise nouvelle pour la bourgeoisie qui, dans le contexte économique actuel, n’a aucun besoin d’une tripartition de la scène politique avec le renforcement d’un parti d’extrême droite qui n’est pas le sien, dont elle n’a pas besoin et qui est largement incontrôlable en plus d’être imprésentable [3] .

Le pari de Hollande : une présidence « normale » pour administrer la rigueur avec plus d’efficacité

Sarkozy et Hollande défendaient tous deux, par-delà la façon dont ils l’exprimaient, les mêmes objectifs d’équilibre budgétaire et de rigueur, en tablant sur les mêmes coordonnées macro-économiques. Nous y reviendrons. Mais la différence principale entre les deux candidats du second tour, et elle n’est pas des moindres, est ã chercher au niveau de la forme. D’un côté Sarkozy proposait un raidissement réactionnaire accru de sa gouvernance et de l’autre les socialistes promettaient une « présidence normale », illustrée par leur propre candidat jusqu’à la façon dont il a célébré, ã Tulle, son score au premier tour.

La méthode Sarkozy n’était pas exempte de risques et la bourgeoisie le savait quant elle a fait le pari de tabler sur lui en 2007. Les changements radicaux dans les rapports entre capital et travail promis par Sarkozy durant sa campagne il y a cinq ans se sont transformés, au fil du temps, en une série de conflits onéreux pour le patronat, le plus important étant celui de l’automne 2010 contre la réforme des retraites. Le bilan, au final, est peu brillant, si on le confronte aux réformes structurelles du marché du travail opérées dans des pays comparables, comme l’Allemagne ou l’Italie où ces réformes ont été mise en œuvre par des gouvernements de gauche bourgeoise [4].

La tâche qui est confiée ã Hollande et ã son futur gouvernement, qui selon toute probabilité sera de sa couleur politique, est de panser les plaies, rétablir la confiance, restructurer un consensus politique, retisser les liens d’un dialogue social avec des directions syndicales qui ne demandent que ça… pour mieux appliquer la politique que réclame la bourgeoisie à l’échelle européenne : austérité, rigueur budgétaire, flexibilisation du marché du travail, libéralisations et privatisations.

Cela ne veut pas dire, qu’à la marge, Hollande ne va pas devoir là¢cher du lest en direction de certains secteurs pour donner de la crédibilité ã cette opération. C’est ce qui se profile par exemple au niveau de l’Education Nationale, avec une série de promesses formulées par celui qui est pressenti comme le prochain ministre, Vincent Peillon : un millier de postes en plus dans le primaire à la rentrée 2012, une remise en cause de la réforme du statut des stagiaires ã 18 heures décidée par Luc Chatel (une politique critiquée par la Cour des Comptes elle-même), ou encore l’abolition du décret sur la notation des enseignants. Ces quelques gestes en direction de l’Education semblent satisfaire les syndicats qui se disent « prêts ã discuter des pratiques [des enseignants ainsi que] de la formation et de l’évaluation » pour la FSU, voire même de la « refondation de l’Ecole » [5] pour l’UNSA. La bureaucratie, en échange de quelques os, se dit prête ã discuter des réformes que Chatel n’a pas pu mener jusqu’au bout. Il n’est pas sûr que les enseignants et les personnels de l’Education se contentent de si peu, dans un secteur qui a le plus pâti de la révision générale des politiques publiques (RGPP), avec 14.000 postes encore supprimés à la rentrée 2012.

Il en va de même sur le front du privé. Les syndicats ont tous globalement fait campagne de façon plus ou moins explicite pour Hollande. Ce dernier, dans son courrier aux directions syndicales à la veille du 1er Mai, a promis de faire « du dialogue social une priorité majeure de [son projet] présidentiel et un pilier de la méthode de gouvernement ». Pour dialoguer, cependant, il faut du grain ã moudre, et Hollande n’en a que très peu, même si les syndicats feignent de l’ignorer. là encore, les socialistes sont sur la corde raide.

Sur le front des licenciements et des fermetures, les bien mal nommés Plans de Sauvegarde de l’Emploi sont sous le coude des patrons depuis des mois. Il suffit de regarder ce qu’écrit noir sur blanc la presse patronale : « chez Neo Sécurité, qui emploie 5.000 salariés, les choses sont momentanément réglées : l’Etat a consenti des reports de dettes sociales et l’entreprise va mener des discussions avec de possibles repreneurs. Mais l’avenir est encore très flou. Dans la grande distribution, la récente arrivée de Georges Plassat à la tête de Carrefour est vécue avec appréhension par les syndicats, qui redoutent l’annonce prochaine de 3.000 ã 4.000 suppressions d’emplois (…). Même genre de veillée d’armes chez Air France, où le nouveau PDG, Alexandre de Juniac, renégocie d’ici ã juin les accords d’entreprise, discussions dont l’issue conditionnera l’ampleur d’un plan de départs volontaires. Dans les transports toujours, ã court terme c’est le sort de Novatrans (250 personnes), qui est dans la balance. (…) Dans l’industrie, l’automobile, la chimie, la métallurgie sont en première ligne. Chez PSA, le sort de l’usine d’Aulnay-sous-Bois, qui fabriquera la Citroën C3 jusqu’en 2014, paraît scellé pour la suite. Dernière déclaration en date du président du directoire de PSA, Philippe Varin : ‘Le moment venu, nous prendrons les décisions qu’il conviendra de prendre’. Et, côté Renault, qui a pris soin de ne faire aucune annonce pendant la campagne, il serait étonnant que la baisse des ventes en Europe ne se traduise pas par une nouvelle décrue des effectifs dans ses sites français. Beaucoup d’autres points chauds jalonnent le territoire, depuis l’usine de Rio Tinto Alcan de Saint-Jean-de-Maurienne (600 salariés) à la recherche d’un hypothétique repreneur, jusqu’au site de Technicolor ã Angers (350 salariés), voué ã une fermeture prochaine. Dans la téléphonie enfin, SFR semble s’acheminer vers un millier de suppressions de postes, pour remédier aux effets de la nouvelle concurrence de Free » [6].

Même si Hollande prépare le dialogue, il est fort probable que les travailleurs réclament des actes, plus que des mots. On l’a vu au cours de la campagne, avec un certains nombre d’usines en lutte qui se sont invitées dans les débats comme Fralib, SeaFrance, Lejaby, Petroplus, Photowatt, PSA Aulnay, ArcelorMittal ou encore Sernam, pour n’en citer que quelques unes. La ritournelle anti-Sarkozy, « Hollande-c’est-moins-pire-que-celui-qu’on-avait-avant » ne risque de durer qu’un temps. Tout ceci pourrait raccourcir grandement la « lune de miel » sur laquelle tablent certains socialistes, bien conscients que les travailleurs se sont rendus aux urnes sans grand enthousiasme. C’est une des raisons de la triste mine de certains ténors socialistes au soir du second tour, tel Manuel Valls reprenant la fameuse phrase de Blum, « chouette, les problèmes commencent ». Ce qu’il faut cependant, c’est que les problèmes soient renvoyés à l’expéditeur, les patrons et le futur gouvernement, car c’est bien la bourgeoisie qui est responsable de la crise dans laquelle nous nous trouvons, et c’est bien le futur gouvernement qui se propose de la gérer pour le compte du patronat, même s’il le fera de façon moins explicite et odieuse que Sarkozy, avec ses amis du Fouquet’s et de Neuilly.

La réalité de la « relance » socialiste : beaucoup de bruit pour pas grand-chose

La presse de gauche se veut optimiste cependant, comme si cela faisait une politique. « Ce n’est qu’avec l’ensemble des pays européens, note plein d’entrain Eric Izraelewicz, au lendemain du second tour, que la France pourra retrouver des marges de manœuvre. De ce point de vue, l’élection française a déjà fait bouger les lignes. Mais il ne faut pas s’y tromper. Les multiples appels, désormais, en faveur de la croissance en Europe - jusqu’à Angela Merkel et son ‘pacte de croissance’ - ne parlent pas toujours de la même chose. Quand François Hollande rêve d’un ‘New Deal’ européen, sur le modèle du grand programme d’infrastructures lancé dans les années 1930 aux Etats-Unis par Franklin Roosevelt, les dirigeants conservateurs européens pensent davantage ã des politiques de rigueur et de libéralisation économique, celle du marché du travail notamment. Un compromis entre ces approches est à la fois possible et nécessaire. François Hollande, par sa culture sociale-démocrate et ses convictions européennes, est sans doute le mieux ã même de travailler ã un tel compromis. Il lui faut néanmoins tirer les leçons des années 1980 et s’émanciper là de François Mitterrand » [7].

Plusieurs choses par rapport aux vœux-pieux de l’éditorialiste du Monde, qui ressemble de plus en plus, ces derniers temps, à la gazette proto-élyséenne du QG de Hollande. Hollande va se situer aux antipodes de Mitterrand en 1981, non seulement parce que sa victoire est loin de soulever le même enthousiasme et la même expectative qui ont permis à l’Union de la gauche d’appliquer, dès 1983, le tournant de la rigueur, en canalisant le plus possible la colère sociale. Il se situe également à l’opposé de l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981 parce qu’il n’a strictement rien, si ce n’est quelques miettes, ã redistribuer. Enfin, sa politique de croissance et de relance - pâle copie de certaines recettes ayant été appliquées aux Etats-Unis par Obama notamment, sans que cela résolve quoique ce soit sur le fond – aura bien du mal ã sortir le pays de la crise, et pas seulement en raison de la rigidité de Merkel.

Il est parfaitement illusoire de comparer le programme socialiste ã celui de Roosevelt dans les années 1930. La relance de Hollande passe par trois axes, bien timides au bout du compte, et bien en deçà des politiques anticycliques menées par les démocrates étasuniens pour affronter la Grande dépression à la suite de la crise de 1929. Hollande souhaite des « euros bonds » ou « euro-obligations », non pas tant pour mutualiser la dette européenne comme le suggère Romano Prodi, mais pour soutenir une politique d’infrastructures au niveau européen. Sur ce même schéma, il souhaite redéployer des fonds structurels qui seraient mal ou peu utilisés. Enfin il souhaite une réforme bancaire à l’image de celle qui a été décidée par le premier-ministre conservateur britannique David Cameron. Dans ce cadre, on peut douter de l’efficacité, ã terme, d’une telle politique, au moment où la crise génère et va aller en approfondissant des phénomènes de faillites bancaires, de dépréciation des actifs des principales entreprises, de contraction du marché et de pression à la baisse drastique sur la force de travail.

Dans ce cadre, non seulement la politique bien timorée que propose Hollande est une parfaite illusion, mais les « solutions » un peu plus résolument keynésiennes, comme celles qui sont défendues par Jacques Généreux, le « Monisieur économie » du FdG (avec une orientation en faveur de l’augmentation du pouvoir d’achat ou de relance du crédit), sont également parfaitement utopistes. Sans un changement radical de la propriété des moyens de production, d’échange et un contrôle strict de l’ensemble du secteur bancaire, il est impossible de trouver une issue réelle ã une crise dont ne vivons que le début [8].

Les timides mesures de relance économique et d’intervention dans le secteur financier de Hollande devraient, de surcroit, s’opérer, pour ce qui est du cadre français, dans un strict respect des équilibres budgétaires, avec une croissance du budget de l’Etat moins importante que sous Sarkozy. D’autre part, Hollande aura à les négocier avec Berlin. Dans un tel contexte, il y a fort ã parier que la « relance » à la sauce Hollande va finir par se traduire en un compromis avec l’Allemagne de façon ã étendre dans le temps le rythme d’application des plans d’ajustement. Rien de bien significatif et d’ambitieux, ã terme, du moins pas au point de pouvoir comparer tout cet échafaudage d’hypothétiques mesures ã négocier ã un « New Deal » européen.

On risque donc très probablement de passer d’un axe « Merkozy » ã un nouvel attelage, que certains appellent déjà « Homer » ou « Merkhollande », nouvel avatar de la politique européenne au service des intérêts des secteurs les plus concentrés de la bourgeoisie. Dans le second comme dans le premier cas, Paris restera subordonné ã Berlin.

Une extrême gauche de combat ã construire pour structurer la seule opposition possible au prochain gouvernement

Face à la profondeur de la crise, face aux plans sociaux qui sont annoncés, il est impensable que le monde du travail et la jeunesse puissent s’en sortir avec un tel gouvernement, même si Hollande en venait ã gauchiser un tant soit peu son orientation. A la gauche du PS cependant, c’est un tout autre discours que l’on entend. Nous ne faisons pas allusion ici aux partenaires du PS comme les écologistes qui ont déjà montré, de par le passé, ce qu’ils étaient, ã savoir des béquilles vertes du social-libéralisme et de bons gestionnaires bourgeois. Cécile Duflot, dans son empressement ã rejoindre le gouvernement, a même affirmé qu’Europe Ecologie-Les Verts ne fixerait aucun préalable ã sa participation.


F. Hollande et JL. Mélenchon

Du côté de ceux qui se veulent les fers-de-lance de la gauche radicale, on ne voit pas beaucoup de radicalité. Mélenchon, pour le Front de Gauche, est ainsi passé, ces derniers mois, d’accuser le prétendant au poste de candidat du PS, DSK, « d’affameur », ã déclarer par la suite que jamais il ne voterait pour un social-libéral. Il a ensuite appelé ã battre Sarkozy au soir du premier tour et s’est livré, enfin, ã un véritable panégyrique des socialistes, Hollande et Jean-Marc Ayrault, pressenti comme futur Premier ministre, étant présentés comme des personnes très comme il faut… Grace au FdG, selon Mélenchon, la victoire de Hollande pourrait devenir « la victoire des exigences aiguës qui viennent de s’exprimer [dans les élections] ». Pour Christian Piquet, de la Gauche Unitaire, élire des députés du FdG voudrait dire « peser sur la politique que mettra en œuvre la nouvelle majorité ». Pierre Laurent, pour le PCF, remporte quant à lui la palme d’or de l’escroquerie en politique, soutenant qu’un renforcement du FdG à l’Assemblée serait une garantie pour que le coup de pouce de Hollande au Smic se transforme en « un coup d’épaule dans les coffres-forts du CAC 40 » [9]. Le problème reste que du côté d’éventuels accords avec le PS en vue des législatives ou de désistement entre les deux tours, seule façon pour le FdG de disposer de représentants à l’Assemblée, rien ne vient. Le PC se démène comme un beau diable cependant. Pierre Laurent et Marie-Georges Buffet on fait savoir ã plusieurs reprises leur attachement ã soutenir une majorité de gauche. De ce côté-là aussi, les masques vont progressivement tomber, ã mesure où la campagne des législatives va avancer.

La question du troisième tour se pose dès ã présent, et elle se pose fondamentalement sur un terrain beaucoup plus social et politique qu’institutionnel. Alors certes, il faudra que la dynamique portée par Philippe Poutou lors des présidentielles, notamment lors des dernières semaines de campagne, se poursuive dans le cadre des législatives afin de montrer que les travailleurs et la jeunesse savent qu’ils devront se battre et ne font aucunement confiance dans les différentes variantes de gauche qui gravitent autour de Hollande. Comme pour les présidentielles, il faut que dans ces élections s’exprime le plus largement possible l’idée selon laquelle ce n’est qu’en comptant sur nous-mêmes et par la force de nos seules mobilisations que nous serons en capacité de répondre, en notre faveur cette fois, ã cette crise du système capitaliste. A toutes celles et ceux qui dans ce pays ont le droit de vote, ce qui exclut notamment des millions de nos camarades de classe immigrés ; ã toutes celles et ceux qui sont convaincus qu’il faudra se battre dès que le prochain gouvernement prendra ses fonctions, nous les appelons ã porter massivement leur suffrage sur les candidats et candidates du NPA.

Mais quels que soient les résultats des listes d’extrême gauche au premier tour des législatives, le troisième tour, le vrai, va se jouer dans les entreprises, dans les bureaux, les ateliers, sur les facs et les lycées. Face à la crise et ã son approfondissement, on ne peut envisager un avenir digne de ce nom sans une politique de rupture avec le système capitaliste afin de le renverser. C’est ce que la Grèce nous montre, avec le sort que le patronat local, et la Troïka réservent ã nos sœurs et frères de classe. Si l’on veut garder la tête hors de l’eau, on ne pourra faire l’économie de luttes très dures et d’ensemble afin de contrer tous les mauvais coups qu’on nous prépare, même quand ils seront enjolivés de dialogue social, même quand ils seront accompagnés de mesurettes destinées ã nous diviser, entre ceux ã qui on jettera un os pour mieux affronter les autres. Il n’y a aucune raison ã ce que ce soit le FN, le pire ennemi des travailleurs, qui se présente comme la future opposition au gouvernement Hollande. La seule opposition qui vaille, elle sera structurée par notre classe, celle des travailleurs, par delà leur couleur de peau, leur nationalité et leurs origines. Mais pour cela, pour construire les bagarres et surtout pour les coordonner et essayer de les faire gagner, il nous faudra un instrument politique radicalement antisystème, anticapitaliste et révolutionnaire, une organisation de classe et de combat. C’est ce ã quoi les camarades du Courant Communiste Révolutionnaire appellent de leurs vœux et travaillent au sein du NPA.

09/05/12

    [1] Par-delà les limites des analystes-professionnels-des-sondages, Jérôme Fourquet (Ifop), note combien malgré la capacité du FN d’agréger un électorat très divers, « au second tour, un clivage politique droite gauche reprend le dessus. Une composante retraités, classes moyennes supérieures, commerçants, artisans, s’est facilement tournée vers Sarkozy. A l’inverse, l’électorat plus populaire et ouvrier est allé plus facilement vers François Hollande ou l’abstention [si l’on se réfère par exemple ã certains départements comme Champagne-Ardenne, Picardie, Nord Pas-de-Calais] ». Voir « Les reports de voix du FN, clef des législatives », Les Echos, 09/05/12.

    [2] Le Canard Enchaîné, dans son édition du 9 mai, a fait une liste assez amusante du palmarès électoral dans les villes « tenues » par les principaux ténors de la droite. A Meaux, la ville de Copé, Hollande a fait 54%, comme ã Saint-Quentin d’ailleurs, chez Bertrand. Au Puy, dans la ville de Wauquiez, le candidat socialiste a obtenu plus de 55% des suffrages. Il a même atteint 59% dans la circonscription sur laquelle Juppé comptait se présenter aux législatives.

    [3] Comme nous le soulignions dans un article précédent, tirant quelques conclusions du résultat du premier tour, « la bourgeoisie s’accommode largement du racisme, de la xénophobie et des idées réactionnaires distillées par le lepénisme. Sarkozy a d’ailleurs largement puisé dans le programme frontiste. Mais la situation sociale et politique fait que la bourgeoisie n’a pas encore besoin d’une force populiste d’extrême droite ã même de prendre en otage la gouvernabilité bourgeoise. C’est ce que montre la crise gouvernementale actuelle en Hollande où l’extrême droite a forcé le gouvernement conservateur à la démission. C’est aussi ce que montre, a contrario, la manière dont la magistrature italienne, aux ordres de la bourgeoisie, est en train de mener une offensive en règle contre la Ligue du Nord de Bossi afin de faire le ménage et de se débarrasser de cette scorie politique qui risquerait de conditionner l’orientation d’un futur gouvernement de centre-gauche ou de centre-droit ». Voir « Ce que reflètent les résultats du premier tour et ce ã quoi le monde du travail et la jeunesse doivent se préparer », 25/04/12,

    [4] En Allemagne, c’est sous le gouvernement SPD de Schröder qu’ont été adoptées les principales réformes anti-ouvrières et antipopulaires, avec l’Agenda 2010 et le train de mesures connu sous le nom de Hartz IV. En Italie, c’est sous le gouvernement « technique » de Lamberto Dini que les premières brèches importantes ont été opérées sur la régulation du marché du travail avec la mise en place du « paquet Treu » en 1995, qui a été par la suite repris et développé par le premier gouvernement de « gauche » de Romano Prodi.

    [5] Voir « Infléchir la rentrée et refonder l’école », Le Monde, 09/05/12.

    [6] Voir « Un cortège de plans sociaux en préparation », Les Echos, 07/05/12.

    [7] Voir « ‘New Deal’ », Le Monde, 08/05/12.

    [8] Il va sans dire, pour ce qui est du New Deal roosweltien, que tout en étant incomparablement plus radical que ce que proposent Obama, sans même parler de Hollande aujourd’hui, l’économie américaine n’a commencé ã se recomposer réellement qu’à la suite de l’entrée en guerre de l’impérialisme américain en 1941.

    [9] Pour les déclarations des dirigeants du FdG, voir « ‘On l’a viré’ sur l’air du tube ‘On là¢che rien’ », L’Humanité, 07/05/12.

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Nieder mit der EU des Kapitals!

Die Europäische Union präsentiert sich als Vereinigung Europas. Doch diese imperialistische Allianz hilft dem deutschen Kapital, andere Teile Europas und der Welt zu unterwerfen. MarxistInnen kämpfen für die Vereinigten Sozialistischen Staaten von Europa! 

Widerstand im Spanischen Staat 

Am 15. Mai 2011 begannen Jugendliche im Spanischen Staat, öffentliche Plätze zu besetzen. Drei Jahre später, am 22. März 2014, demonstrierten Hunderttausende in Madrid. Was hat sich in diesen drei Jahren verändert? Editorial Nieder mit der EU des Kapitals!

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  • Liga de la Revolución Socialista (LRS - Costa Rica) Costa Rica LRS En Clave Revolucionaria Noviembre Año 2013 N° 25 

Los cuatro años de gobierno de Laura Chinchilla han estado marcados por la retórica “nacionalista” en relación a Nicaragua: en la primera parte de su mandato prácticamente todo su “plan de gobierno” se centró en la “defensa” de la llamada Isla Calero, para posteriormente, en la etapa final de su administración, centrar su discurso en la “defensa” del conjunto de la provincia de Guanacaste que reclama el gobierno de Daniel Ortega como propia. Solo los abundantes escándalos de corrupción, relacionados con la Autopista San José-Caldera, los casos de ministros que no pagaban impuestos, así como el robo a mansalva durante los trabajos de construcción de la Trocha Fronteriza 1856 le pusieron límite a la retórica del equipo de gobierno, que claramente apostó a rivalizar con el vecino país del norte para encubrir sus negocios al amparo del Estado. martes, 19 de noviembre de 2013 Chovinismo y militarismo en Costa Rica bajo el paraguas del conflicto fronterizo con Nicaragua

    Liga de la Revolución Socialista (LRS - Costa Rica)

  • Grupo de la FT-CI (Uruguay) Uruguay Grupo de la FT-CI Estrategia Revolucionaria 

El año que termina estuvo signado por la mayor conflictividad laboral en más de 15 años. Si bien finalmente la mayoría de los grupos en la negociación salarial parecen llegar a un acuerdo (aún falta cerrar metalúrgicos y otros menos importantes), los mismos son un buen final para el gobierno, ya que, gracias a sus maniobras (y las de la burocracia sindical) pudieron encausar la discusión dentro de los marcos del tope salarial estipulado por el Poder Ejecutivo, utilizando la movilización controlada en los marcos salariales como factor de presión ante las patronales más duras que pujaban por el “0%” de aumento. Entre la lucha de clases, la represión, y las discusiones de los de arriba Construyamos una alternativa revolucionaria para los trabajadores y la juventud

    Grupo de la FT-CI (Uruguay)