Elections dans l’Etat Espagnol
La victoire des candidatures citoyennes, les accords ã venir et l’illusion municipaliste
28/05/2015
L’irruption des candidatures « citoyennes » d’Ada Colau ã Barcelone, qui a remporté l’élection, et de Manuela Carmena, qui a obtenu juste un point de moins que le PP, alimente les illusions sur la possibilité d’entamer un changement social ã partir de gouvernements municipaux. Mais cette illusion ne pourra se concrétiser qu’à travers de pactes avec un secteur de la caste politicienne.
Les propositions municipalistes de « Guanyem Barcelona », de « Ahora Madrid », de « Zaragoza en común » et d’autres variantes qui ont aujourd’hui fait irruption avec force sur le devant de la scène politique espagnole ont créé grandes illusions et expectatives.
Le vote pour ces candidatures exprime, d’une part, le mécontentement vis ã vis lds partis conservateurs comme le PP (qui a gouverné Madrid pendant 24 ans) ou Convergencia i Unió (CiU), le principal parti de la bourgeoisie catalane, ã Barcelone. Le rejet des nombreux cas de corruption de la « famille » du pouvoir, la dénonciation de la « caste politicienne » amie des banquiers et la remise en cause des politiques d’austérité, sur fond de montée du chômage et de la misère, se sont manifestés sans aucun doute lors de ces élections.
Mais ce qui s’est fortement exprimé pendant cette campagne électorale également, c’est ce que l’on pourrait appeler « l’illusion municipaliste » : l’idée que les gouvernements municipaux, étant donné leur soi-disante « proximité », pourraient permettre une démocratisation plus importante des institutions et une participation plus grande des citoyens dans les prises de décisions.
C’est ce dont témoigne notamment les déclarations d’Ada Colau par rapport à la candidature de « Barcelona en Comú » : « l’idée de départ c’est qu’il faut additionner les efforts des gens qui ne sont pas organisées et de ceux qui le sont pour lancer une candidature qui puisse gagner les élections municipales et ainsi chasser les corrompus et les kleptocrates qui sont en train de vendre peu ã peu notre ville. Cependant, il ne s’agit pas de gagner pour occuper la place des autres mais de transformer les institutions, pour les ouvrir et que les gens soient les protagonistes des grandes décisions ». Or, cette stratégie « municipaliste » dans le cadre du capitalisme espagnol et de l’Union Européenne ne peut rencontrer que des obstacles.
Une politique d’accords avec la « caste »
L’élément fondamental de ces élections est qu’aucune force politique n’obtient de majorité absolue. Par conséquent, les « gagnants », ou les forces arrivées dans les premières places, devront procéder ã des accords politiques pour former des gouvernements.
Dans le cas de Barcelone, Ada Calau, qui est arrivée en tête en battant le candidat de CiU, sera obligée pour devenir maire de la capitale catalane de pactiser avec des forces aussi hétéroclites que Esquerra Republicana, le PSC et les CUP. Autrement dit, avec le parti qui jusqu’à présent a été l’un des piliers du « bloc souverainiste » avec CiU et le président de la Catalogne Artur Mas, avec l’impopulaire PSOE catalan ainsi qu’avec l’aile gauche de l’indépendantisme, les CUP.
Dans la capitale de l’Etat, Manuela Carmena pourrait devenir maire de Madrid. Mais seulement si elle passe là aussi un pacte avec « la caste » : le PSOE. Une possible alliance entre le PSOE et « Ahora Madrid » (piloté par Podemos) avait été évoquée il y a quelques jours. Mais vu les résultats cette possibilité est devenue une nécessité. En échange, Podemos pourrait soutenir le candidat du PSOE au niveau de la Communauté Autonome de Madrid, Ángel Gabilondo.
Les déclarations de Manuela Carmena dimanche soir où elle affirmait au milieu de la fête de ses sympathisants qu’il s’agissait de « la victoire de la majorité qui veut changer les choses » ã Madrid et en même temps appelait ã « séduire » ceux qui n’ont pas voté pour le changement pour pouvoir former un gouvernement municipal, ont constitué un clair signal vers la constitution de ce type d’accord.
Le pacte entre Podemos et le PSOE pourrait aussi se concrétiser dans d’autres Communautés et mairies comme Aragon, Castilla La Mancha ou Andalousie. Ce serait une démonstration que le chemin vers le « changement » proposé par Podemos ne passe ni plus ni moins que par des pactes avec l’un des piliers du bipartisme et de « la caste ».
Malgré la liesse populaire qui parcourt une partie du pays suite aux résultats électoraux, il est clair que ces accords approfondissent non seulement le « tournant vers la modération » de la part de Podemos et ses partenaires mais aussi son assimilation de plus en plus forte au régime politique espagnol.
Réalité et fantaisies du « gouvernement des gens »
La stratégie du « gouvernement de gauche » a pris force en Europe ã partir de l’expérience de Syriza en Grèce. Le résultat des dernières élections européennes, lors desquelles Podemos a été projeté sur le devant de la scène, a donné lieu ã une adaptation propre dans l’Etat Espagnol avec des formules du type « gouvernement des gens » ou « gouvernement décent ».
Aujourd’hui cette idée, qui est née en quelque sorte du mouvement des Indignés, commence ã prendre forme. Des millions de personnes voient dans la conquête électorale de gouvernements au niveau municipal ou des régions autonomes une issue capable d’offrir une expression institutionnelle à leurs revendications démocratiques.
Cependant, la grande contradiction de cette perspective c’est que l’autogouvernement des citoyens ã travers les institutions de la démocratie bourgeoise ne peut être qu’une fantaisie. Et cela dans le cadre de petites communes mais aussi et surtout dans des villes géantes comme Madrid ou Barcelone avec plusieurs millions d’habitants et où se concentre le pouvoir économique et politique de la bourgeoisie.
Transformer l’Etat et le pouvoir exige en effet de transformer les relations sociales sur lesquelles se fonde l’Etat lui-même. Dans la société actuelle cela demande de défendre un programme qui remette en cause le pouvoir et la propriété des patrons et des banquiers. Que ce soit au niveau municipal ou au niveau national, conquérir une « démocratie intégrale » qui en finisse avec les inégalités, la corruption et le gouvernement des banquiers implique de mettre en branle des forces sociales puissantes et de développer de nouveaux organismes d’auto-organisation des masses qui surgissent comme un pouvoir alternatif ã celui des capitalistes.
Tout au long de l’histoire ce type d’organismes de démocratie directe et de double pouvoir ont surgis en dehors des institutions étatiques bourgeoises, en contestant la légitimité des institutions existantes.
Sans une perspective d’auto-organisation ouvrière et populaire et sans remettre en cause la propriété privée, les expériences de « gouvernements de gauche », de « gouvernements des gens » ou comme on voudra les appeler démontrent que la « logique de gestion » s’impose irrémédiablement. Et cela d’autant plus que l’on traverse une crise capitaliste historique où la Troïka et l’UE exercent leur pression pour que personne ne « dévie » de la voie de l’austérité.
Si l’on prend le cas de la Grèce, le gouvernement de Tsipras est en train de renoncer à la presque totalité de son programme pour arriver ã un accord avec les partenaires européens. Ces derniers mois en effet le gouvernement de Syriza-Anel a payé plus d’un milliard d’euros au FMI alors qu’il n’a pas rempli ses promesses d’augmenter le budget de la santé et de l’éducation publiques.
Les candidatures citoyennes dans l’Etat Espagnol, centrées sur la lutte contre la corruption, pendant la campagne ont repris aussi certaines des demandes les plus ressenties par la population comme la question de la lutte contre les expulsions ou celle du chômage des jeunes, et ont dénoncé la caste politicienne et les patrons « amis » du pouvoir. Mais la modération de leur programme et leur discours est ce qui a marqué leur orientation politique ces derniers mois.
Face à l’énorme transformation de la carte politique espagnole qui commence ã s’opérer après les élections de ce weekend et avec l’intégration des candidats « citoyens » à la gestion des gouvernements municipaux et/ou des régions autonomes dans tout l’Etat, il est nécessaire de rappeller que sans toucher à la propriété privée capitaliste et les privilèges des la « caste politicienne », les propositions réformistes dans le cadre du régime ne permettent pas d’offrir une alternative de fond aux problèmes cruciaux posés par la profonde crise sociale du pays.
La dynamique de la situation dans l’Etat Espagnol ã moyen terme et les tendances vers un approfondissement de la lutte de classe, imposent la nécessité de construire un instrument politique de l’extrême-gauche, anticapitaliste et révolutionnaire qui soit à la hauteur de l’affrontement avec les ennemis de la classe ouvrière et des masses opprimées, comme une alternative réaliste pour que les capitalistes payent pour leur crise.
24/5/2015.