ArcelorMittal : les sidérurgistes lorrains s’invitent dans la campagne
Non à la fermeture du site de Florange
25/03/2012
Par Laura Varlet
Avec les affrontements entre sidérurgistes et flics devant le siège de campagne de Sarkozy ã Paris le 15 mars, les ouvriers de Florange ont quelque peu bousculé le calendrier électoral. La lutte qu’ils mènent contre la fermeture de leur site est en effet centrale.
Depuis le 4 octobre dernier, la ville de Florange, en Moselle, est devenue moins bruyante que d’habitude. En effet, le dernier des deux hauts-fourneaux de l’aciérie, le P6, a cessé de cracher son panache de fumée blanche. La conséquence est concrète pour les travailleurs : 1200 des 2600 salariés du site d’ArcelorMittal sont au chômage partiel, et plus de 400 sous-traitants ont été directement licenciés. Depuis, le site a perdu toute sa vitalité. Avant il fallait crier pour s’entendre. Maintenant le bruit assourdissant a laissé sa place ã un terrible silence qui annonce le chômage. Avec l’arrêt du P6, c’est le cœur du site qui a cessé de battre et seule la cheminée de cokerie continue de fumer. Les travailleurs de Florange cependant sont déterminés ã ne pas connaître le même sort que les générations précédentes, celles qui ont vu le gros de l’appareil sidérurgique lorrain fondre comme neige au soleil dans les années 1980 et 1990. La fermeture de Florange, qui ferait suite ã celle du site de Gandrange, signifierait une véritable catastrophe pour l’ensemble du bassin lorrain. Il y a trois ans en effet, ã Gandrange, toujours en Moselle, ArcelorMittal a mis la clef sous la porte, laissant plus de 500 travailleurs directement sur le carreau, sans compter les sous-traitants, et ce en dépit des « engagements » de campagne de Sarkozy en 2007. Chômage de longue durée, impossibilité de retrouver un emploi, voilà ce qui inquiète les travailleurs de Florange, bien déterminés ã faire ravaler au groupe son projet de fermeture.
Sécheresse ou crise internationale, tout est bon pour faire régler la facture aux travailleurs
Au début, la direction justifiait l’arrêt du P6 par « une baisse des commandes résultant de la sécheresse printanière, qui a réduit la demande de boîtes de conserve et d’emballages pour boissons des producteurs de fruits et legumes ». Cela fait longtemps maintenant que le printemps est fini et les hauts-fourneaux n’ont toujours pas redémarré. Le discours de l’entreprise, entre-temps, a changé. Selon le PDG d’ArcelorMittal France, Hervé Bourrier, la reprise de l’activité n’est pas assurée et dépendra de la relance économique au niveau international. Face ã une telle situation, il est tout ã fait normal que les travailleurs d’ArcelorMittal ã Florange soient déterminés ã se battre jusqu’au bout pour maintenir leurs emplois.
Il est scandaleux que lorsque les patrons réalisent des chiffres d’affaires record, ils reçoivent des aides de l’Etat, sans que les travailleurs ne voient la différence sur leur fiche de paie. Ces chiffres d’affaire record, comme dans le cas de l’automobile, étant d’ailleurs étroitement liées ã ces mêmes aides de l’Etat d’ailleurs. En revanche, dès que le vent tourne et la situation économique change, que les patrons amassent un peu moins de trésorerie et versent moins de dividendes à leurs actionnaires, la première variable d’ajustement ce sont bien sûr les travailleurs, les salaires et l’emploi.
Monsieur Lakshmi Mittal n’est pourtant pas ã plaindre… les travailleurs et la population un peu plus
ArcelorMittal, une entreprise multinationale, est née d’une fusion entre deux géants de la sidérurgie, Arcelor et Mittal, en 2006. ArcelorMittal, qui a annoncé 1,7 milliards de bénéfices en 2011 n’a pas hésité, au même moment, ã annoncer la fermeture de ses deux hauts-fourneaux ã Florange.
Face ã cette situation, les travailleurs ont commencé ã s’organiser et ã construire la mobilisation. Ils ont déjà organisé des manifestations de toute sorte pour s’opposer à la fermeture et dénoncer les manœuvres des patrons. Les travailleurs d’ArcelorMittal, qui sont directement touchés par le chômage partiel, mais également l’ensemble de la population, qui voit dans l’avenir du site de Florange l’avenir des emplois dans la région, se sont rassemblés ã plusieurs reprises pour se faire entendre. Si Florange ferme, ce seront de milliers de familles qui vont se retrouver à la rue. Depuis février 2012 cependant, la mobilisation connaît une nouvelle phase.
Premier acte : tentative d’enfumage de Sarkozy
Après des mois et des mois de fausses promesses plus de 500 ouvriers du site se sont réunis en AG le 16 février. Ils ont décidé de mener une série d’actions « coup de poing » pour protester contre l’arrêt des hauts-fourneaux et pour la reprise du travail ã Florange. Petit ã petit donc, le conflit a commencé ã devenir plus visible, notamment ã partir de l’occupation des bureaux (vides) de la direction par les travailleurs. Leur mobilisation prend également une tournure politique toute particulière au milieu d’une campagne présidentielle où les deux principaux candidats essaient de nous faire croire qu’ils feront tout pour sauver les emplois.
Face à la pression des travailleurs et à leur détermination de se battre jusqu’au bout, Sarkozy a dû se réunir avec le PDG du groupe, Lakshmi Mittal, pour essayer de discuter d’une issue au conflit. Suite ã cette rencontre, Sarkozy a annoncé à la radio que le groupe multinational ArcelorMittal s’était engagé ã investir 17 millions d’euros et que la reprise de l’activité des hauts-fourneaux était assurée. Mais ã regarder de plus prés, on voit bien que le discours de Sarkozy n’est qu’une escroquerie. Sur les 17 millions promis, seuls 2 millions seront destinés aux travaux de maintenance des hauts-fourneaux, ce qui ne veut absolument pas dire qu’ils vont redémarrer. 7 millions d’euros en revanche sont destinés ã moderniser la cokerie, qui est toujours en marche sur le site. La seule nouveauté apparente, ce sont les 8 millions qui seront investis au niveau de la ligne de finition, c’est-à-dire là où s’élaborent les produits destinés aux différents constructeurs automobiles. Cependant, cette activité n’a jamais été menacée sur le site. Elle fonctionne d’ailleurs normalement avec de l’acier qui est livré de Dunkerque.
En conclusion, Sarkozy a voulu arnaquer les travailleurs une nouvelle fois avec des effets d’annonce qui n’assurent en aucun cas le redémarrage du travail pour ceux qui sont aujourd’hui au chômage partiel. Quelques heures après les déclarations de Sarkozy, la direction d’ArcelorMittal a d’ailleurs répété pour la énième fois que la reprise de l’activité arrêtée depuis le mois d’octobre ne dépendait que de la relance économique au niveau mondial.
Deuxième acte : les flics contre les ouvriers
Pour montrer qu’ils ne vont pas se laisser faire, les travailleurs, après avoir occupé, sans résultats, les bureaux de la direction du site, ont pris la décision de mener des actions plus radicales, afin de montrer leur détermination. C’est ainsi que le 2 mars, au même moment où se tenait une réunion au siège français du groupe ã Saint-Denis, les travailleurs ont bloqué la ligne de chemin de fer reliant la France au Luxembourg ã Ebange. Sarkozy n’a pas hésité ã faire déplacer ses gendarmes, en tenue anti-émeute, pour déloger les sidérurgistes lorrains.
Mais la colère des travailleurs a continué ã monter. Convoqués en AG le 12 mars par l’Intersyndicale CFDT-CGT-FO, plus de 400 ouvriers ont mandaté leurs représentants pour de nouvelles actions de lutte. En même temps, plusieurs personnalités du monde et artistes de la culture ont manifesté leur soutien, comme le comédien Guy Bedos qui s’est rendu sur place pour se solidariser avec les travailleurs en lutte.
Jeudi 15 mars, les sidérurgistes sont descendus sur Paris. A plus de 200, ils se sont rendus devant le QG de campagne de Sarkozy pour manifester. La réponse du gouverment a été encore une fois la répression et la criminalisation d’une lutte qui est tout ã fait légitime. Sarkozy, tout en les invitant à l’Elysée le 19 mars, a envoyé 500 CRS qui ont canardé les ouvriers ã coups de grenades lacrymogènes et de bombes assourdissantes. Il s’en est suivi une résistance farouche de la part des travailleurs qui ont envoyé paître et Sarkozy et son invitation. L’après-midi, les flics ont encore empêché les travailleurs de déployer sur la Tour Eiffel, dont l’acier qui la compose vient de Lorraine, leur banderole qui disait « l’acier lorrain vivra ! ».
Ni l’UMP ni le PS ne proposent une véritable solution pour le maintien de tous les emplois ã Florange
Etant donné l’ampleur du conflit, les deux principaux candidats ont été amenés ã se prononcer et ã faire des promesses par rapport au dossier de la sidérurgie lorraine et du site de Florange en particulier. Aucun d’eux, en fait, n’apporte de véritables solutions.
Très cyniquement, Nicolas Sarkozy s’est autocongratulé en rappelant son rôle joué dans le dossier Alstom… en 2004. Lors de son meeting du 11 mars ã Villepinte, Sarkozy a affirmé que « Si, pour sauver notre industrie, l’Etat doit investir comme je l’ai fait avec Alstom, alors l’Etat investira », rappelant, dans le contexte de démagogie anti-Bruxelles que chevauche le président-candidat, le bras de fer qui avait opposé le patronat français et le gouvernement à l’époque et la Commission. Une chose est sure pour l’instant, l’intervention de l’Etat dans le dossier Alstom a surtout bénéficié au grand ami du chef de l’Etat, Martin Bouygues, actionnaire de la multinationale ã hauteur d’un tiers. Pour ce qui est des aides publiques en général, il s’agit avant tout d’aides masquées au grand capital sous forme de crédit impôt recherche, de suppression de la taxe professionnelle, des allocations de chômage partiel ou des aides à la formation. Rien, en revanche, par rapport au maintien de la totalité des emplois.
Du côté de François Hollande qui s’est même déplacé jusqu’à l’usine et en a profité pour faire un peu campagne, les propositions ne changent pas la donne non plus. Le candidat du Parti Socialiste propose une loi, non pas pour interdire les licenciements, mais pour « obliger » les entreprises qui ferme un site à le vendre ã un repreneur. « Quand une grande firme ne veut plus d’une unité de production et ne veut pas non plus la céder, nous en ferions obligation pour que les repreneurs viennent et puissent donner une activité supplémentaire » a-t-il déclaré. Cette proposition, mis ã part le fait qu’elle reste complètement floue et qu’elle relève davantage de la démagogie électorale que du programme du candidat et d’un véritable engagement, ne résout pas le problème. La question de la fermeture des sites relève de la recherche de plus grandes marges de profit et de bénéfice dans le cadre de la concurrence du marché capitaliste. Dans le cas de Mittal, après avoir « racheté » l’aciérie de Gandrange pour un franc symbolique en 1999, il n’a pas hésité à la fermer quelques années après, en laissant des centaines de salariés sur le carreau. Hollande, qui paraît-il combat « la finance », voudrait qu’en prime les patrons qui ferment des sites soient obligés de revendre pour refaire en plus de l’argent ? Rien n’est dit, on le voit, par rapport à la nécessité de maintenir, systématiquement l’ensemble des emplois et d’assurer la poursuite des activités dans tous les sites menacés, qu’ils relèvent de l’industrie ou des services.
« Attendez le prochain gouvernement » disent les candidats
Sarkozy comme Hollande veulent nous faire croire qu’il n’y a qu’eux pour « s’occuper » de nos affaires et que nous devrions juste « patienter » que l’un ou l’autre soit élu président. Les déclarations de Sarkozy après la manifestation des ouvriers d’ArcelorMittal devant son QG de campagne montrent bien ã quel point ils ne veulent pas que nous prenions nos affaires en main. Il a accusé « les syndicalistes » qui, selon lui, « devraient défendre les intérêts des salariés et pas faire de la politique ». Pour ces gens-là , les travailleurs n’auraient pas le droit de faire de la politique. Il faudrait qu’on se contente d’hypothéquer notre destin et de le placer dans les mains de crapules comme Sarkozy ou de politiciens bourgeois comme Hollande qui veulent « administrer la rigueur ».
C’est bien l’exact opposé du message de notre candidat, Philippe Poutou. Ouvrier de l’automobile et syndicaliste qui fait aussi de la politique, il se bat aux côtés de ses collègues depuis quatre ans contre la fermeture de l’usine First-Ford ã Blanquefort en Gironde, et les travailleurs ont arraché une première victoire partielle en sauvant une grande partie des emplois. C’est aujourd’hui le seul candidat ouvrier à l’élection présidentielle pour parler des vrais problèmes des travailleurs et faire passer le seul messagequi vaille : nous autres, travailleuses et travailleurs, on ne peut compter que sur nos propres forces pour nous en sortir et ne pas payer leur crise.
Pour le maintien des emplois ã Florange, nationalisation sous contrôle des travailleurs !
La direction d’ArcelorMittal rattache la possibilité d’une reprise de l’activité des deux hauts-fourneaux du site de Florange à la relance économique au niveau international. Il est évident qu’au milieu de la crise historique du capitalisme que nous traversons, ce n’est probablement pas une relance économique qui surviendra dans les années ã venir. La multinationale ArcelorMittal, qui emploie prés de 300.000 travailleurs dans 60 pays, continue ã faire des milliards d’euros de chiffre d’affaires, ce qui veut dire qu’elle est complètement en mesure d’assurer la continuité du site de Florange. Mais la stratégie du groupe, c’est de se concentrer sur les grosses unités de production, comme Dunkerque ou Gand (qui ne sont pas à l’abri d’une possible fermeture non plus) même si, pour ce faire, ils doivent licencier et détruire des emplois en Lorraine ou ailleurs, et ce pour maintenir ou augmenter les profits.
La « solution » d’un repreneur, qu’il soit national ou étranger, ne constitue pas une vraie solution à long terme pour sauvegarder les emplois dans la région. Les capitalistes investissent ici ou là en fonction de leurs bénéfices, et si demain, avec la crise économique mondiale, l’industrie sidérurgique est moins rentable, les « capitaines d’industrie », qu’ils soient français ou étrangers, n’hésiteront pas ã fermer boutique, en laissant des milliers de familles à la rue derrière eux.
Si ArcelorMittal n’est même plus capable d’assurer aux travailleurs de Florange le salaire, alors la seule solution valable et à long terme pour les travailleurs et leur familles c’est la nationalisation du site de Florange, sous le contrôle de ses travailleurs, pour que les milliers de tonnes de fonte et d’acier qui pourraient encore sortir d’un tel site serve ã un projet de développement durable et soutenable de la région et au delà , en termes de construction de logements, de transports publics et d’infrastructures destinées à la population. Il faut que l’Etat prenne en charge les investissements sur le site pour assurer la reprise de l’activité des hauts-fourneaux. Cette nationalisation doit se faire sans donner un seul euro à la multinationale d’ArcelorMittal, qui s’est déjà suffisamennt jouée des travailleurs avec la fermeture de Gandrange en 2009. L’ensemble des ouvriers et des salariés du site sont parfaitement ã même de porter ce programme, car ils ont les connaissances et un savoir-faire qu’ils ont acquis après des années et des années de travail. Seuls les travailleurs sont véritablement intéressés ã ce que le site fonctionne correctement et ã ce que la production d’acier soit planifiée non pas en fonction des besoins des groupes multinationaux, mais en fonction des besoins de la population.
Les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces et la convergence des luttes pour faire reculer patronat et gouvernement
Malgré la répression du 15 ã Paris, la lutte ne faiblit pas et les travailleurs de Florange continuent ã être mobilisés, un mois après le début véritable de leur lutte. Ils ont bien entendu décliné l’invitation élyséenne, à laquelle s’est rendue la CFE-CGC, qui a dû se sentir bien seule sur le coup…
Sarkozy, quant à lui, n’a pas hésité ã insulter les travailleurs et leurs syndicats, en les traitant de voyous et d’irresponsables. C’est avant tout un aveu de faiblesse. Il a peur que les travailleurs et les travailleuses s’invitent dans la campagne. Il ne veut pas devoir ã nouveau « faire quelque chose », comme à la suite de la mobilisation des ouvrières de Lejaby ou des travailleurs de Photowatt. Les ouvriers d’ArcelorMittal, eux, ont tout compris et savent qu’il est indispensable de se faire entendre et de faire monter la pression. Cela passe par la poursuite des actions et leur extension.
La force des travailleurs, c’est avant tout leur unité dans la lutte. Il faut que la mobilisation des travailleurs d’ArcelorMittal, comme celle des autres entreprises en bagarre actuellement, PSA Aulnay, M-Real, Fralib, etc., converge. Toutes ces luttes finissent par se retrouver isolées et n’arrivent pas ã changer le rapport des forces. Elles se voient impuissantes face à la politique des directions des grandes Confédérations Syndicales qui n’ont rien fait pour essayer de les faire converger, après la défaite du mouvement des retraites en raison de leur stratégie de dialogue. Il s’agit donc de converger dans un front unique qui s’engage dans la défense des emplois, et qui puisse engendrer le soutien et la sympathie de tous les travailleurs et les jeunes de la région et d’ailleurs. Ce serait du devoir des syndicats de les faire converger et de tout faire, au bas mot, pour qu’au niveau des différentes branches et bassins d’emploi, ces luttes se développent, avec l’appui de toutes les organisations du mouvement ouvrier et de la jeunesse [1]. C’est uniquement ainsi que la question de l’emploi et des fermetures pourra s’imposer réellement dans cette campagne et arracher aux patrons et au prochain gouvernement, par delà les échéances électorales et quel que soit sa couleur politique, de premières victoires.
21/03/12
NOTASADICIONALES
[1] On ne peut que regretter que le 22 mars, ce sera encore de façon parcellisée que les travailleurs se mobiliseront. D’un côté, il y a l’appel de la CGT dans l’automobile surtout, avec la mobilisation devant le site de PSA Aulnay, alors que les sidérurgistes de Florange seront eux aussi mobilisés, mais en Lorraine. Une seule et même mobilisation, avec des mots d’ordre semblables, aurait donné encore plus de poids ã ces luttes, leur permettant de devenir des points d’ancrage partout où la question de l’emploi et des fermetures est centrale.