Mélenchon dans la majorité ou l’opposition ?
Que va faire le Front de Gauche face au gouvernement Hollande ?
22/05/2012
Par Romain Lamel
Après son score ã deux chiffres au premier tour de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est confronté ã un enjeu majeur pour les années ã venir : soutenir ou s’opposer au nouveau gouvernement du Parti Socialiste ?
François Hollande désormais président, le Front de Gauche se retrouve face ã un dilemme qui va déterminer sa politique au cours des prochains mois : être à l’intérieur ou à l’extérieur de la majorité ? La coalition électorale de Jean-Luc Mélenchon n’a jamais caché son intention de peser sur le Parti Socialiste. Hélas, la complaisance du Parti Socialiste à l’égard des marchés financiers a déterminé le projet de François Hollande délimitée par la seule hostilité au président sortant. Pour la première fois, le parti héritier de Jean Jaurès a présenté un programme sans la moindre réforme sociale : ni proposition d’augmentation de salaire, ni promesse de régularisation de sans-papiers, ni engagement de récupérer dans le giron de l’Etat quelques pans de l’économie du pays. Dans ces conditions, des dirigeants historiques de la droite tels que François Bayrou ou l’ancien président de la République, Jacques Chirac, ou encore des anciens membres de gouvernements de droite tels que Martin Hirsch, Fadela Amara, Azouz Begag, Brigitte Girardin, Corinne Lepage ou encore Jean-Jacques Aillagon n’ont eu aucun complexe ã voter pour François Hollande. Dès lors, il est difficile pour le Front de Gauche de rallier le Parti Socialiste sans risquer de perdre tout crédit auprès de sa base.
Ce revirement serait d’autant plus malvenu que le candidat Mélenchon a commencé sa campagne en qualifiant le futur président de la République de « capitaine de pédalo pendant la tempête », précisant qu’il ne participerait pas ã un autre gouvernement que celui qu’il dirigerait : « Mais pourquoi voudriez-vous que j’aille me coller dans un gouvernement Hollandréou ? » s’exclamait-il sur TF1 le 5 mars dernier. L’attaque visait juste. En assimilant François Hollande à l’ancien Premier ministre grec, Georges Papandréou, Jean-Luc Mélenchon critiquait la soumission de la social-démocratie européenne aux plans d’austérité pour cause de dette. En seulement deux ans, Papandréou a imposé une baisse des salaires et des pensions de retraite, un recul de l’âge légal de départ en retraite, une augmentation de la TVA… sans résister un seul instant aux injonctions de la Troïka (Union Européenne, Banque Centrale Européenne, Fonds Monétaire International). La crise de la dette se continuant, le nouveau gouvernement français devrait sans doute poursuivre les politiques d’austérité à l’œuvre dans la plupart des pays européens. Que fera le Front de Gauche face ã cela ?
Il y a deux mois, les propos ambigus du Front de Gauche à l’égard du Parti Socialiste nous avait fait prédire « trois scénarios pour une trahison » [1]. Le premier scénario, celui d’une participation au gouvernement dès la fin de l’élection présidentielle, est d’ores et déjà , désuet. Le second scénario, celui d’une participation au gouvernement après les élections législatives, semble compromis devant le refus du Parti Socialiste d’accorder la moindre concession aux classes populaires ou de négocier les circonscriptions dans le cadre des législatives, au grand dam du PCF, d’ailleurs. Reste, le troisième scénario, celui d’un soutien parlementaire sans participation gouvernementale, est-ce l’option que va choisir le Front de Gauche ? Pour tenter de comprendre son positionnement, nous allons revenir sur les principales déclarations de Jean-Luc Mélenchon et tenter de déterminer quel sera le rapport du Front de Gauche avec le gouvernement socialiste ã moyen terme.
Quand le Front de Gauche « se mobilise » pour les « camarades » socialistes…
Dès le soir du premier tour de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a non seulement appelé ã battre le président sortant mais aussi à le faire avec enthousiasme : « Je vous demande de ne pas traîner les pieds, je vous demande de vous mobiliser comme s’il s’agissait de me faire gagner moi-même l’élection présidentielle », a exhorté le leader de la Révolution citoyenne. Les électeurs du Front de Gauche ont probablement eu du mal ã se mobiliser pour la stagnation des salaires alors que Mélenchon promettait d’augmenter le SMIC ã 1 700 € brut, ã s’enthousiasmer pour les exonérations d’impôts pour les entreprises par le biais de contrats de génération alors que le Front de Gauche militait pour l’interdictions des « licenciements boursiers ». Cela n’a pas empêché le candidat du Front de Gauche de récidiver dans le plaidoyer pro-Hollande deux semaines plus tard, le jour de l’élection de François Hollande, moins de dix minutes après l’annonce officielle des premières estimations : « Je félicite François Hollande pour son élection. Son avantage lui donne les moyens d’agir. Je souhaite de tout cœur le meilleur au nouveau président comme ã notre patrie ». Nous pourrions croire que ces déclarations ne seraient dues qu’à l’enthousiasme d’une soirée électorale, à l’allégresse de participer au départ de Nicolas Sarkozy. Le revirement semble plus profond puisque dès sa nomination, le nouveau Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, recevait de la part de Jean-Luc Mélenchon, une lettre commençant par un affectueux : « cher camarade ». Que s’est-il passé ? Comment le gouvernement Holléandréou s’est-il aussi rapidement transformé en un gouvernement de « camarades » pour lesquels il faut « se mobiliser » comme si la révolution citoyenne était en passe de prendre le pourvoir, des « camarades » ã qui il faut souhaiter « de tout cœur le meilleur » ? Majorité ou opposition ? Si le Front de Gauche estime que ce sont des « camarades » qui sont au pouvoir, comment pourra-t-il s’y opposer ?
Une majorité parlementaire sans participation gouvernementale
Une partie de la réponse réside dans une annonce au vocabulaire constitutionnel obscur pour le commun des citoyens. Dimanche 20 mai, Jean-Luc Mélenchon a déclaré sur l’antenne de France-Inter : « J’ai pris un engagement solennel au nom du Front de Gauche : jamais le groupe du Front de Gauche (...) nous ne voterons une motion de censure déposée par la droite. (…) Sans être membre de la majorité, sans avoir demandé ni obtenu quelque poste que ce soit, nous prenons cet engagement solennel ». Que signifie cet engagement solennel sur une pratique parlementaire peu usitée ? La motion de censure est le vote par lequel l’Assemblée nationale peut obliger le Gouvernement ã démissionner. Pour être adoptée, il faut qu’une majorité absolue, non pas de députés présents, mais de l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale, vote en sa faveur. En déclarant avant l’élection législative ne jamais voter une motion de censure, le Front de Gauche s’engage ã ne pas renverser ou tenter de renverser le gouvernement socialiste par la voie parlementaire. Même si l’on s’en tient au simple aiguillon de gauche que se proposait d’être la coalition électorale de Jean-Luc Mélenchon, elle se prive d’un formidable moyen de pression contre la direction socialiste.
Dès lors, le questionnement « majorité ou opposition ? » semble résolu : le Front de Gauche sera un soutien parlementaire fidèle du gouvernement Hollande. Une autre déclaration de Jean-Luc Mélenchon, sur France 5 le 13 mai, une semaine après le second tour, permet d’éclaircir les dernières ombres : « Quand on annonce à l’avance qu’on ne votera jamais la censure avec la droite, on ne peut pas être qualifié d’opposition. (…) On ne peut pas dire qu’on est d’opposition et on est pas dans la majorité gouvernementale ». Le cap est désormais fixé, ce ne sera ni l’opposition, ni la majorité gouvernementale, il ne reste plus qu’une option au Front de Gauche, la majorité parlementaire sans participation gouvernementale.
Construire une opposition du monde du travail et de la jeunesse au gouvernement Hollande, c’est une nécessité face aux politiques d’austérité. Nous ne pourrons pas compter, et ce n’est pas une surprise, sur la direction du Front de Gauche. Au JT de TF1 le 12 mai, Jean-Luc Mélenchon assurait au gouvernement de François Hollande : « On ne sera pas là pour harceler » en lui souhaitant « de tenir bon ». Nous n’avons de notre côté aucune illusion sur la soumission du gouvernement « Hollandréou » au capital et au patronat, qu’il soit banquier ou industriel, national ou international, patriote ou « délocalisateur ». Un nécessaire « harcèlement », une opposition frontale de l’ensemble des travailleurs, de l’ensemble des organisations du monde du travail, syndicales et politiques, voilà qui est indispensable pour éviter que les acquis sociaux hexagonaux ainsi que nos conquêtes encore en place subissent le même sort que les acquis sociaux portugais, espagnols ou grecs, déconstruits et atomisés par des gouvernements socialistes.
21/05/12
NOTASADICIONALES
[1] Voir « Le pouvoir aux travailleurs ou le bulletin dans l’urne ? Que fera le Front de Gauche de la dynamique Mélenchon », 21/03/12