La lutte contre l’Ayraultport de Notre-Dame-des-Landes
Un caillou dans la chaussure de Hollande ou un pavé contre le gouvernement ?
09/12/2012
Par François Robertović et Nolwen Michel
Les affrontements entre CRS et opposants au projet de construction du gigantesque aéroport de Notre-Dame-des-Landes (NDDL) ont remis au goût du jour des images de guérilla qui rappellent les luttes contre l’extension de la base militaire du Larzac ou encore contre l’implantation de la centrale nucléaire de Plogoff en Bretagne. A ceci prêt que deux éléments diffèrent fondamentalement, et contribuent ã donner une importance particulière au conflit dans le contexte actuel. Plogoff et le Larzac ont été des luttes emblématiques des années 1970, sous des gouvernements de droite, et auxquelles l’arrivée de Mitterrand au pouvoir en 1981 a mis fin en suspendant les projets. Aujourd’hui, c’est contre un gouvernement « socialiste » que manifestent les opposant au projet « d’Ayraultport ». Par ailleurs, cette lutte prend place alors que le gouvernement s’apprête ã mettre en œuvre un programme de contre-réformes structurelles très radical voulu par le patronat. Dans ce cadre, la lutte de NDDL est aujourd’hui un caillou dans la chaussure de Hollande. Est-ce qu’elle pourrait se transformer en un véritable pavé contre ce gouvernement ?
Petit retour en arrière
1963 : Premier projet
Le projet d’aéroport est né d’une initiative de la DATAR datant de 1963, et dès 1968, le site de Notre-Dame-des-Landes est identifié comme site préférentiel. C’est la crise pétrolière de la décennie 1970, ainsi que l’Association de Défense des Exploitants Concernés par l’Aéroport (ADECA), créée en 1972 par les agriculteurs s’opposant au projet d’implantation d’un aéroport ã Notre-Dame-des-Landes qui mettront ce projet en veille pour de nombreuses années.
2000 : Relance du projet
Le projet est réactivé en 2000 sous le gouvernement Lionel Jospin. Le choix du concessionnaire a été effectué par le ministre chargé des Transports et l’attribution de la concession pour une durée de 55 ans au groupement conduit par Vinci a fait l’objet d’un décret en Conseil d’État le 29 décembre 2010. Cet appel d’offres comprend, outre le financement, la construction et la gestion de ce projet, l’exploitation des aéroports de Saint-Nazaire /Montoir-de-Bretagne et Nantes Atlantique (ouvert pour Airbus industrie), jusqu’au transfert de son activité commerciale ã Notre-Dame-des-Landes.
Les premières luttes
Après l’ADECA créée en 1972, c’est l’ACIPA (Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport de Notre-Dame-des-Landes) qui est créée en 2000, à l’initiative de neuf riverains et regroupant en 2011 plus de 3300 adhérents. Le 8 décembre 2007, la « Coordination des associations opposées au projet de nouvel aéroport ã Notre-Dame-des-Landes » voit le jour. Suivent des actions : grèves de la faim, manifestations … Le 24 mars 2012, une manifestation réunissant l’ensemble des opposants au projet rassemble 3.000 personnes (selon la police), 10.000 selon les organisateurs et 200 tracteurs dans le centre de Nantes. Le 25 avril, Jean-Marc Ayrault (alors chef du groupe socialiste au palais-Bourbon et maire de Nantes), Jacques Auxiette et Philippe Grosvalet (Président socialiste du Conseil Général de Loire Atlantique) écrivent aux grévistes de la faim... pour leur demander l’arrêt de la grève et pour leur signifier que la période de débat est close !
La zone d’aménagement différé (ZAD) du projet d’aéroport est devenue depuis 2008 la « Zone ã Défendre » pour les groupes d’opposants, dont certains ont récupéré les nombreuses habitations délaissées du fait du projet. Le mouvement s’amplifie en 2009 après le Camp Action Climat. Les occupants souhaitent « profiter d’espaces laissés à l’abandon pour apprendre ã vivre ensemble, ã cultiver la terre, ã être plus autonomes vis-à-vis du système capitaliste ».
« Opération César » : Ayrault veut jouer à la guerre des Gaules ?
Le 16 octobre 2012, l’opération « César » est lancée. Elle consiste ã déloger les habitants de la ZAD et leurs soutiens. Plus de 1200 gendarmes et policiers interviennent, ainsi que deux hélicoptères. Néanmoins, la résistance des manifestants présents est telle que l’opération n’a qu’une portée limitée, permettant de dégager quelques points d’accès mais augmentant considérablement la sympathie pour le mouvement des opposants à l’échelle nationale.
En lutte pour la réoccupation
Dans les jours qui suivent, la mobilisation prend pour cible de nombreux locaux du Parti socialiste, ã Paris, Angers, Arles, Besançon, Bordeaux, Brest, Dijon, Douarnenez, La Rochelle, Limoges, Rennes, Millau et Tulle, notamment par l’inscription de slogans comme « Non à l’Ayraultport ».
Une manifestation de « réoccupation » est par ailleurs organisée le 17 novembre 2012 ; la mobilisation est massive, près de 30.000 personnes s’étant rendues ce jour là sur les lieux, si bien que la zone est reprise et que la lutte de Notre Dame des Landes envahit les médias, devenant un véritable caillou dans la chaussure du gouvernement.
Le 23 novembre 2012, environ 500 gendarmes se lancent ã nouveau dans une importante opération d’évacuation, visant ã déloger les opposants au projet de trois sites (Le Rosier, la Lande de Rohanne et la Châtaigneraie) occupés depuis plusieurs mois. Le préfet déclare que cette opération vise également ã empêcher la reconstitution d’un camp retranché, et la fortification de celui-ci. Au matin, les gendarmes investissent tous les sites, et donnent 40 minutes aux opposants pour quitter les lieux. Sans résultat : pour mener ã bien la répression, les flics devront franchir le dispositif de défense (tranchées, barricades..) mis en place par les occupants.
Le même jour dans la soirée, une manifestation spontanée est organisée dans le quartier des ministères ã Paris. Ce défilé combatif faisait suite ã un rassemblement officiel devant l’Assemblée nationale en fin d’après midi.
Le 24 novembre, la lutte continue dans la zone du projet de l’aéroport. Huit personnes sont interpellées et deux opposants et un gendarme sont blessés au cours des affrontements. Trois ministres PS du gouvernement Ayrault, Delphine Batho (Ecologie), Frédéric Cuvillier (Transport) et Stéphane Le Foll (Agriculture), ont confirmé dans un communiqué commun « la nécessité de poursuivre le déroulement du projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique » sur le site de Notre-Dame-des Landes.
L’après-midi, une manifestation réunissant au moins 2.000 personnes défile dans Nantes, avant de se diriger vers la préfecture, où la confrontation éclate avec les CRS. Ceux-ci repoussent les manifestants avec des lances ã eau. Un CRS est hospitalisé après avoir reçu un pavé au visage. Dans la même après-midi, une centaine de personnes manifeste, et bloque temporairement le pont de Pierre. Le jour même, Jean-Marc Ayrault annonce la mise en place d’une « commission de dialogue » afin « d’entendre toutes les parties prenantes [...] dans un souci d’apaisement ».
Lors des deux jours d’affrontements, une trentaine de personnes ont été blessées gravement. Des grenades assourdissantes ont été utilisées, plusieurs manifestants se retrouvent avec des éclats de grenades logées dans le corps. Deux blessés ont notamment chacun dix éclats de grenades dans les jambes. Un autre a été atteint de surdité brutale et a une plaie au tympan. D’autres ont des éclats au bas-ventre. Une personne risque également de perdre un œil. Des flash ball ont également été utilisées ã faible distance entraînant plusieurs côtes brisées chez certains manifestants.
Une mobilisation qui exprime la situation politique du moment
La mobilisation d’ampleur qui s’est jouée ces dernières semaines ã NDDL a la particularité de se développer en dehors des organisations de contention habituelles : bureaucratie syndicale, partis réformistes qui ont réussi ces derniers mois ã empêcher la colère de s’exprimer sur les lieux de travail, malgré les multiples luttes contre les licenciements depuis septembre et alors que se préparent des attaques extrêmement brutales (rapport Gallois, compétitivité) avec la collaboration des directions syndicales, dans le contexte du "tournant" du gouvernement et des attaques brutales qui se préparent. D’expression régionale d’opposition ã un des aspects de la politique du PS, la lutte contre NDDL pourrait commencer ã jouer un véritable rôle de catalyseur de la colère sociale ã un moment où le gouvernement est en train d’opérer un tournant rapide ã droite de sa politique générale, mais où les terrains d’expression les plus directs de la conflictualité de classe sont encore contrôlés. La lutte révèle par ailleurs la relative fragilité de ce gouvernement devenu très impopulaire, en mettant la pression sur son alliance avec Europe écologie – les Verts et sur la posture « constructive » que souhaite adopter le Front de gauche, avec un PCF Loire-Atlantique favorable au projet. Au centre de toute cette affaire, on retrouve le Premier ministre, directement exposé
Cette fébrilité se reflète dans l’ampleur prise par la répression, qui a atteint dans le cadre de cette lutte un niveau particulièrement important. Un militant a par exemple été retenu 72 heures en garde ã vue pour avoir écrit au feutre sur une permanence PS ã Paris, tandis que 77 personnes ont été arrêtées rue du Bac et emmenées dans des cars de police pour un contrôle d’identité après la manifestation improvisée du 24 novembre. A Nantes et dans la ZAD elle-même, c’est une armée de flics qui a été déployée. Aujourd’hui, c’est l’ensemble des organisations du mouvement ouvrier et populaire, ã commencer par les syndicats, qui devraient réclamer la fin de cette répression scandaleuse, la levée des poursuites et bien entendu l’arrêt immédiat des poursuites contre les opposants.
Devant l’impasse de la réponse policière, et pour éviter que la contestation ne le fragilise davantage, Jean-Marc Ayrault a annoncé en grande pompe une « commission du dialogue » qui n’est reconnue par personne d’autre que...le gouvernement lui même. Il craint en effet qu’une opposition dans la durée puisse donner lieu ã un point de fixation de l’opposition ã sa politique, un peu à l’image de ce qu’est, depuis 2006 (sous un gouvernement de « gauche » à l’époque), le mouvement « No TAV », contre la liaison ã grande vitesse Turin-Lyon, dans la Vallée de Suse, en Italie.
Contre le pouvoir « socialiste » : guérilla en Loire Atlantique ou réponse de classe ?
Mais ce qui fait la force dans la durée du mouvement No TAV en Italie ne doit pas cacher ses limites. Résister tant bien que mal à l’avancée progressive des pelleteuses ne veut pas dire sauver la vallée et encore moins en finir avec les politiques capitalistes de massacre de l’environnement qu’ont défendues successivement, pour ce qui est de l’Italie par exemple, Prodi (centre-gauche), Berlusconi (centre-droit) et dernièrement Monti (gouvernement technocratique d’union nationale). Le collectif de lutte contre l’aéroport de NDDL tient ferme jusqu’ici dans son opposition au projet, et n’a cédé ni devant la répression ni devant la proposition (bien factice) de négociations. Cela n’empêche pas de discuter de la stratégie qui est employée dans cette bagarre. Le risque est en effet que la colère sociale catalysée par cette lutte s’essouffle du fait d’une stratégie erronée, qui ne permet pas de s’opposer aux projets du gouvernement ã NDDL ni ailleurs.
Les velléités de construction d’un nouvel aéroport au Nord de Nantes et au Sud de Rennes sont ã elles seules une démonstration de la violence et de l’inégalité intrinsèques au capitalisme. D’une part, il s’agit de libérer certains terrains aujourd’hui occupés par l’aéroport Nantes Atlantique, pour permettre leur valorisation par de nouvelles constructions. L’ouverture de l’aéroport de NDDL devrait aussi permettre de revaloriser l’immobilier des deux villes qu’il jouxtera, en les rendant plus attirantes car mieux connectées. Ayrault a ainsi pour ambition de contenter les propriétaires nantais et bétonneurs hexagonaux et de donner ã sa ville une meilleure visibilité internationale. C’est au nom de cette politique que les habitants des terrains convoités ã NDDL ont été expropriés. Mais il s’agit aussi pour lui d’ouvrir un marché public gigantesque de 661 millions d’euros, une manne qui lui assurera les bons augures d’un grand nombre de patrons, ã commencer par le géant du BTP Vinci.
Dans ces conditions, s’opposer au projet va de soi. Et c’est là où doit commencer la réflexion stratégique. En la matière, le collectif de lutte met en avant sa radicalité, les principes d’auto-organisation, ainsi que la nécessité d’une indépendance radicale vis-à-vis des organisations politiques : « Le 17 novembre aura lieu une manifestation de réoccupation, pensée comme un moment de réaction collective aux expulsions de squats sur la ZAD. Nous sommes des occupantEs de la ZAD. Nous ne sommes pas dans des logiques de parti. Nous ne croyons pas à la pseudo-démocratie et ã son jeu de représentation. Depuis quelques jours, les stars de la politique politicienne se relaient pour annoncer leur venue. Depuis quelques jours on n’entend plus qu’elles/eux. Nous ne voulons pas que toute l’attention se braque ce jour-là sur quelques têtes d’affiche qui ont déjà tout l’espace médiatique pour s’exprimer, et qui ne foutront jamais les pieds sur la zone i’il n’y a pas 50 caméras pour les accompagner.
Nous voulons une manif d’opposant-e-s au projet d’aéroport, pas un podium pour politicardEs ».
Si le refus de se laisser instrumentaliser par les partis politiques est tout ã fait juste, encore faudrait-il être capable de distinguer parmi les organisations, la classe qu’elles défendent. L’hostilité de certain-e-s militant-e-s de NDDL envers l’extrême gauche politique en général et notamment contre le NPA était ainsi totalement sectaire. Ce n’est pas, en effet, l’accès aux médias qui détermine le camp social auquel on appartient.
En la matière justement, et malgré toute la pression qu’elle met sur le gouvernement étant donnée la conjoncture, la lutte de NDDL ne défend pas une stratégie à la hauteur de ses objectifs, c’est-à-dire capable de remettre en question la nature même du projet d’aéroport. Va-t-on, pour en empêcher la construction, résister pied-à-pied, avec camps retranchés et chausse-trappes dans les bois, sur le site ? Que fera-t-on si le gouvernement déplace le projet ? Enfin, comment changer en profondeur la logique dans laquelle sont construites aujourd’hui les infrastructures de transports, qui ne cherche pas ã répondre aux besoin réels de la majorité de la population ?
Pour répondre ã ces questions, il faut replacer la lutte de NDDL sur le terrain de la lutte des classes. Tout d’abord, la radicalité des manifestants, activistes et paysans, gagnerait en force en posant la question de l’implication de l’ensemble du mouvement ouvrier et populaire, ã commencer par ses organisations, ã cette bagarre. Seule une planification ouvrière et populaire des investissements d’infrastructure permettrait de se doter d’un système permettant ã chacun de se déplacer selon ses besoins, tout en respectant les contraintes écologiques d’un monde profondément fragilisé par le capitalisme. C’est donc la nature même de ce système qui est mise en question par cette bagarre, et non seulement la sauvegarde du « pays nantais ». En inscrivant leur combat dans le cadre de la lutte contre le capitalisme, qui traverse en plus aujourd’hui une crise historique, les milliers d’activistes courageux-ses et déterminé-e-s qui s’y sont impliqués pourraient devenir un puissant levier contre le projet d’aéroport, mais également contre ce gouvernement « de gauche » et plus largement les bétonneurs et le patronat. C’est ce dont Hollande et Ayrault ont peur. Réciproquement, la classe ouvrière doit se saisir de cette lutte qui pose la question du contrôle sur les investissements, et catalyse aujourd’hui une opposition radicale au gouvernement. Les directions syndicales sont trop occupées à l’idée de savoir si elles vont négocier franchement ou du bout des lèvres avec le gouvernement et le Medef. Ce n’est pas un hasard si elles n’ont prêté (ou se sont bien gardé de prêter) une quelconque attention ã cette lutte si médiatisée. Et pourtant, NDDL, c’est notre camp, et c’est notre avenir ! Une victoire contre le gouvernement ou un recul de Ayrault sur place serait un point d’appui très important dans les combats auxquels on va devoir faire face dans les prochains mois, sur l’emploi, les salaires, l’austérité et le marché du travail.