Radicalisation de la jeunesse en Amérique du Nord
La grande grève étudiante au Québec
06/05/2012
Par Lysanne Arcand et Érik Gagnon
Malgré la répression qui s’abat sur eux, les étudiants québécois, massivement en grève depuis le 13 février, ne sont plus seulement en lutte contre la marchandisation de l’éducation supérieure. Leur mouvement défie désormais le gouvernement libéral de droite de Jean Charest.
Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, la jeunesse nord-américaine n’a pas été en reste en termes de contestation. Il suffit de songer aux manifestations de Seattle ou au mouvement contre la guerre en Afghanistan et en Irak. Cette jeunesse est, depuis quelques mois, de retour sur le devant de la scène. On sait le rôle qu’ont joué les étudiants et les jeunes aux côtés des syndicats de la fonction publique dans le mouvement contre la politique d’austérité du gouverneur républicain Scott Walker dans le Wisconsin l’an passé. Ce sont également les jeunes qui ont été parmi les plus actifs dans le mouvement « Occupy », sur le modèle des « indignad@s » de l’État espagnol, non seulement ã New York, avec « Occupy Wall Street », mais également sur la côte Ouest des États-Unis, comme ã Oakland par exemple. Depuis quelques semaines, les étudiants québécois leur ont emboité le pas. Ils sont en grève depuis le 13 février et protestent contre l’augmentation des droits d’inscription universitaires. Mais leur mouvement dépasse désormais, et de loin, le cadre de l’opposition à la marchandisation accrue de l’éducation. Ils ne protestent pas seulement contre le fait qu’ils sont déjà condamnés ã s’endetter s’ils souhaitent poursuivre leurs études supérieures. Véritable caisse de résonnance des contradictions sociales qui traversent le Québec, les étudiants sont aujourd’hui le fer-de-lance de l’opposition au gouvernement libéral de droite de Jean Charest.
22 mars et 22 avril, des manifestations historiques
Le 22 mars n’est pas seulement la date anniversaire de la « naissance » du mouvement étudiant contestataire ã Nanterre, en 1968. Cette date marque dorénavant un avant et un après dans l’histoire des mouvements sociaux au Québec. Ce jour-là , plus de 200.000 personnes ont formé un cortège interminable dans les rues de Montréal au cri de « Bloquons la hausse des frais de scolarité ! ». Les journaux ont tout de suite noté qu’il s’agissait de la plus grande manifestation de l’histoire de la province depuis celle de février 2003, contre la guerre en Irak. Mais un mois après, le dimanche 22 avril, ce sont encore 300.000 personnes qui ont défilé, lors du Jour de la Terre. Au cours de cette manifestation, les militants, les syndicalistes, les salariés, la population et la jeunesse n’ont pas seulement protesté, comme tous les ans, contre les politiques anti-écologiques criminelles des gouvernements fédéral et provincial. Ils en ont profité pour exprimer leur soutien au mouvement étudiant québécois, attaqué de toute part, à la fois par les forces de répression mais également par la campagne médiatique de dénigrement qui s’exerce ã son encontre. Ces deux manifestations représentent le point le plus haut de la lutte étudiante et populaire qui ne cesse de montrer sa combativité.
Tout ceci n’a pas empêché la ministre provinciale de l’Education, Line Beauchamp, d’expulser la CLASSE, l’aile radicale du mouvement étudiant, de la table des négociations qui se tenait depuis le 23 avril 2012 [2].Ne pouvant faire autrement, les Fédérations collégiale et universitaire (FECQ et FEUQ) ont dû elles aussi quitter la table des négociations par solidarité. De toute façon le gouvernement se moquait du monde. Charest proposait notamment d’étaler sur sept ans (au lieu de cinq) la hausse des frais de scolarité, ce qui aurait entraîné ã terme une augmentation de 82%, contre les 75% initialement prévus.
Ce n’est donc pas un hasard si le Premier mai a été très combatif cette année, malgré une centaine d’arrestations encore. Le cortège principal ã Montréal a regroupé une dizaine de milliers de manifestants qui se sont exprimés également contre les mesures de lock-out visant les travailleurs de Mabe, Electrolux et Aveos. Et depuis l’exclusion de la CLASSE de la table des négociations, le mouvement étudiant montréalais défile dans les rues, de nuit, au cri de « Manif chaque soir, jusqu’à la victoire ! ».
Un mouvement extrêmement combatif
Cela montre bien comment au cours des dernières semaines le mouvement étudiants n’a pas faibli en intensité. Il a au contraire multiplié actions et manifestations. Tout a été ciblé, des bâtiments gouvernementaux, en passant par les bureaux des fonctionnaires, la Bourse, les entrepôts de la SAQ [3], le Port de Montréal, les ponts sur le Saint-Laurent, le métro, jusqu’au salon du « Plan Nord », le nouveau « bijou » de la politique libérale-conservatrice du gouvernement Charest, visant ã intensifier l’exploitation des ressources naturelles dans la partie septentrionales de la province.
Cette grande combativité a aussi permis de défier la répression extrêmement dure qui s’exerce contre le mouvement. L’usage de nouvelles armes par les flics a déjà couté un œil ã un manifestant. En deux mois, plus de mille manifestants ont été arrêtés et déférés devant la justice. La dernière arme du gouvernement est l’imposition d’injonctions judiciaires afin d’empêcher les blocages, les piquetages et les fermetures de cours. Dans le cas de l’Université du Québec en Outaouais et de l’Université de Sherbrooke, on oblige même les étudiants ã retourner, de force, dans les amphis. En Outaouais, les étudiants qui ont été arrêtés au cours des manifestations ont reçu en plus une injonction les empêchant de retourner sur le campus universitaire, si ce n’est pour assister aux cours. Toutes ces attaques visent, bien entendu, ã affaiblir les assemblées étudiantes. Le mouvement, néanmoins, résiste ã toutes les mesures de répression et la lutte continue !
Un combat contre le programme des libéraux, mais pas seulement
Au sein de l’Assemblée nationale du Québec, l’opposition est constituée par le Parti Québécois (PQ). Le PQ se dit officiellement contre la hausse des frais d’inscription à l’université, mais historiquement, il a toujours été en faveur. La chef de file des souverainistes québécois, Pauline Marois, ainsi que les députés du PQ, arborent le carré rouge, symbole de la lutte étudiant depuis la grève de 2005. Ce ne sont en fait que des opportunistes qui pensent surtout aux prochaines élections qui auront lieu cette année. Ils défendent en effet simplement un moratoire sur la hausse des frais d’inscription, associé ã une consultation sur cette question, mais ne sont pas, fondamentalement, contre le relèvement des frais. En ce sens, le PQ reste le fidèle représentant des patrons québécois [4].
Les Fédérations étudiantes sont liées historiquement au PQ et ã ses positions. En 2005, lors de la précédente grève étudiante, elles avaient déjà négocié dans le dos des étudiants en lutte. Elles avaient en effet décrété la fin du mouvement, sans même consulter les étudiants mobilisés, et ce contre l’avis de l’ASSE. Aujourd’hui, les Fédérations étudiantes ont été forcées de quitter la table des négociations afin de protester contre l’exclusion de la CLASSE. Elles refusent d’y retourner négocier sans la CLASSE. Le gouvernement voulait diviser le mouvement pour mieux le faire plier, en opérant une distinction entre les « jusqu’au-boutistes » et les modérés. La manœuvre a échoué. L’unité de la base étudiante dans les mobilisations a obligé les organisations ã maintenir un front unique pour faire face au gouvernement. C’est ce qui explique aussi comment la lutte a pu se maintenir tout au long des derniers mois.
Le mouvement étudiant est aujourd’hui le fer-de-lance de la contestation contre les projets réactionnaires des gouvernements provincial et fédéral de Jean Charest et de Stephen Harper. Au niveau provincial la popularité de Charest est tombée ã son niveau le plus bas depuis son accession au pouvoir en 2003 tandis que la popularité du mouvement étudiant ne cesse de grandir en dépit de la campagne médiatique menée contre les manifestants, accusés de « vandalisme ». Le mouvement étudiant, aujourd’hui, représente la pointe avancée du ras-le-bol populaire qui est perceptible dans la province. Il pourrait, en ce sens, aider ã unifier toutes les luttes sociales qui résistent face au rouleau-compresseur des libéraux.
Charest ne prévoit pas seulement d’augmenter les frais de scolarité. Il souhaite également une hausse des tarifs des services publics, notamment de l’électricité ainsi que du ticket modérateur dans la Santé. Plusieurs syndicats, comme la CSN et la FTQ, mais aussi de nombreuses organisations populaires, comme la Coalition contre la tarification des services publics, ont rejeté ces mesures. Dans le privé, les patrons ne sont pas en reste. Dans certaines entreprises, les salariés ont ã faire face ã de véritables lock-out patronaux, comme ã Aveos et ã Rio Tinto-Alcan. Le gouvernement fédéral, de son côté, est complice puisqu’il a empêché dernièrement, par exemple, le déclenchement d’un mouvement de grève des salariés d’Air Canada en appui ã ceux d’Aveos et de Rio Tinto-Alcan. Parallèlement, le gouvernement de Charest persiste ã vouloir mettre en œuvre le « Plan Nord », un projet pharaonique d’exploitation des ressources naturelles et énergétiques, suscitant la colère de plusieurs nations autochtones vivant dans les régions septentrionales de la province. Potentiellement, donc, il serait possible d’unifier l’ensemble des ces combats en un front uni de lutte contre Charest, pour la construction d’un mouvement de grève jusqu’à la chute du gouvernement libéral.
Un programme pour faire gagner la grève
Le gouvernement continue ã s’asseoir sur les revendications étudiantes. L’invitation à l’ouverture de négociations n’était qu’une manœuvre. C’est pour cela que le mouvement doit avoir pour objectif le départ de la ministre de l’Éducation, responsable de la crise actuelle, du ministre de la Sécurité, responsable de la répression, ainsi que du premier ministre Charest. C’est ce dont se font l’écho les manifestations nocturnes qui ont lieu quotidiennement depuis la rupture des négociations : « Charest, démissionne ! », scandent les manifestants, ou encore « Charest dehors, va te trouver une job au Nord ! » [5].
Pour faire gagner notre grève, il va falloir poursuivre les manifestations, les actions de blocage économique et les piquetages, afin d’empêcher les retours forcés dictés par les recteurs et les injonctions judiciaires. Mais il va falloir également renforcer la démocratie directe au sein même du mouvement. La structure organisationnelle étroite des syndicats n’est pas un cadre suffisant pour relever les défis auxquels nous avons ã faire face. Il faut lutter pour mettre sur pied une organisation plus large des étudiants en lutte. Une telle organisation serait une sorte de Conseil Général de Grève, à l’image de celui qu’ont pu structurer les étudiants mexicains lors de la grande grève de l’Université de Mexico (UNAM), en 1999. Les délégués devraient être élus sur la base des différentes assemblées, en maintenant la parité femme-homme, avec des mandats révocables et rotatifs. Une telle organisation aidera le mouvement ã affronter la répression à l’œuvre actuellement mais aussi ã renforcer la participation de toutes et tous les grévistes. Les étudiants et étudiantes réuni-e-s autour du bulletin de lutte « Contre le courant » se battent pour cette orientation, afin de faire gagner notre mouvement.
Montréal, le 02/05/12
[1] Lysanne Arcand et Érik Gagnon militent au sein du mouvement étudiant. Ils éditent, avec d’autres camarades, le bulletin de lutte Contre le Courant.
[2] La CLASSE (Coalition Large de l’Association pour une Solidarité Etudiante) est une coalition élargie formée par l’ASSÉ et d’autres associations universitaires qui ont rompu avec les Fédérations étudiantes traditionnelles. L’ASSÉ a rompu en 2001 avec les Fédérations dans le cadre des grandes manifestations anti-globalisation de cette année-là contre le Sommet des Amériques [NdE].
[3] Société des Alcools du Québec [NdE].
[4] Fondé à la fin des années 1960, le PQ aujourd’hui une formation social-libérale, à l’image des partis « socialistes » en Europe. Expression de la montée de la bourgeoisie francophone québécoise au cours de ce que l’on a appelé la « Révolution tranquille », il défend des positions souverainistes sur la question québécoise afin de mieux négocier avec le gouvernement fédéral [NdE].
[5] Lors du Salon de l’emploi du Plan Nord qui a eu lieu les 20 et 21 avril, Charest s’est adressé aux manifestants (étudiants, syndicalistes et autochtones) en leur disant qu’ils feraient mieux de se trouver « un job dans le Nord » plutôt que de protester.