Pour la victoire de Kobanê face à l’offensive de Daesh !
09/11/2014
Déclaration conjointe deClasse contre Classe (CcC, Etat espagnol), duCourant Communiste Révolutionnaire du NPA (CCR, France) et de l’Organisation Révolutionnaire Internationaliste (RIO, Allemagne)
A bas l’intervention des impérialistes et de leurs alliés en Syrie et en Irak ! A bas le régime sanguinaire de Al-Assad ! A bas le régime fantoche de Bagdad ! Pour un Kurdistan unifié, indépendant et socialiste !
Daesh, monstre réactionnaire créé par l’impérialisme
1. Depuis cet été, la situation en Syrie et en Irak a radicalement changé. L’organisation de l’État Islamique en Irak et au Levant (EIIL, ou Daesh, en arabe), issu d’Al-Qaïda et de groupes armés sunnites réactionnaires en Syrie s’est renforcée en se joignant ã des courants sunnites irakiens armés, ã des tribus sunnites marginalisées par le pouvoir pro-chiite (sous parapluie étatsunien) de Bagdad et ã d’ex officiers de l’ancien régime baathiste de Saddam Hussein. Dans le contexte de guerre civile syrienne qui oppose différentes factions bourgeoises au régime de Damas et dans le cadre de la guerre civile larvée permanente, sur base communautaire et religieuse, en Irak, Daesh a opéré une percée fulgurante dans le Nord de la Syrie et de l’Irak. Cette offensive est tout autant le symptôme de la déréliction complète du régime fantoche irakien actuel, mis en place par Washington en 2006, que d’un spectaculaire renversement d’alliances au sein de la guerre civile syrienne. Anciennement alliés objectifs des impérialistes contre le régime de Al-Assad, protégé et armé par les monarchies pétrolières du Golfe et par la Turquie, Daesh, à l’image d’Al-Qaïda à la fin des années 1990, entend aujourd’hui défendre sa propre politique, indépendamment de ses anciens tuteurs, ã travers la constitution d’un État religieux.
2. Rivalisant en barbarie avec les milices chiites armées par Bagdad en se lançant dans une guerre de nettoyage ethnico-religieux contre les minorités du Nord-est de l’Irak, Daesh a profité de la faiblesse des institutions et de l’armée irakienne pour s’emparer de plusieurs gouvernorats dans le pays. En Syrie, de façon ã faire la jonction avec la frontière turque où passent les marchandises et les armes en direction du territoire syrien et irakien et où transitent les hydrocarbures issus des champs pétrolifères qu’il contrôle, Daesh s’est lancé à la conquête du bandeau de terre kurdo-syrien. Ce territoire est contrôlé, dans les faits, depuis 2012, par le Parti de l’Union Démocratique kurde (PYD), depuis que les forces de Damas se sont désengagées de la zone pour se concentrer militairement sur d’autres fronts où les loyalistes sont opposés à l’Armée Syrienne Libre et ã d’autres forces islamistes. Une partie du territoire kurde en Syrie est tombé aux mains des djihadistes et depuis plusieurs semaines Kobanê, l’une des principales villes du Kurdistan syrien autonome (Rojava), est sous le feu de l’offensive de Daesh. De cette ville fantôme, théâtre d’intenses combats, 300.000 habitants, dans leur majorité kurdes, ont fui en direction de la Turquie voisine. Malgré la résistance héroïque des Unités de Protection Populaire (YPG), les djihadistes maintiennent depuis plusieurs semaines leur siège de la ville, ayant même réussi ã prendre le contrôle, pendant quelques jours, de différents quartiers du centre de l’agglomération dont ils ont été repoussés. Daesh, cependant, n’a pas encore été mis en échec et la ville continue ã être en danger.
Autour des raisons ayant décidé de l’intervention de la coalition conduite par les Etats-Unis et de la position de la Turquie
3. Début août, affolé par la perspective d’une éventuelle chute de Bagdad aux mains des djihadistes ainsi que d’une conquête du Kurdistan irakien -sorte d’État autonome sous tutelle impérialiste et des multinationales pétrolières- Washington s’est lancé dans une nouvelle intervention en Irak. Pour cela, le Pentagone a embarqué ã ses côtés ses alliés impérialistes, plusieurs pétro-monarchies régionales et, bien qu’à contrecœur, la Turquie d’Erdogan. Les exactions barbares de Daesh ont servi pour couvrir auprès de l’opinion publique internationale les exactions plus policées que sont les frappes aériennes. Pendant ce temps, les troupes régulières irakiennes ont essuyé échec sur échec, l’armée étant à l’image du gouvernement fantoche de Bagdad, ã savoir rongé par des rivalités internes et affaibli par le communautarisme politique dont tirent partie les islamistes sunnites. Face ã une telle situation, les impérialistes ont uniquement réussi ã stopper l’avancée de Daesh grâce ã des bombardements et en équipant et en armant les troupes kurdo-iraquiennes de l’ancien président Massoud Barzani, homme lige des États-Unis et des multinationales du pétrole dans la région. Toutefois, Daesh continue ã contrôler au moins un tiers du territoire iraquien. En Syrie, en revanche, la situation est radicalement distincte. Le Rojava, ou Kurdistan syrien, à la différence du Kurdistan irakien, n’a pas monnayé son autonomie auprès de l’Occident en échange d’en devenir son plus fidèle allié, un choix opéré par le Parti Démocratique Kurde (PDK) de Barzani et par l’Union Patriotique Kurde (UPK) de Jalal Talabani. Après la première Guerre du Golfe, en s’appuyant sur les massacres perpétrés par les troupes de Hussein dans le Nord du pays, Washington, sous couvert de l’ONU, avait décrété une zone d’exclusion aérienne sur l’ensemble du Kurdistan iraquien. Ce faisant, les Etats-Unis ont laissé que se constitue une sorte de région kurde autonome en Irak. Le PYD, lié au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), a longtemps entretenu des rapports ambigus vis-à-vis du régime des Al-Assad qui a protégé Öcalan jusqu’en 1998. Néanmoins, à la faveur du Printemps arabe, le PYD a conquis l’autonomie de facto de la région kurdo-syrienne en s’insérant dans la dynamique ouverte par la rébellion populaire qui a caractérisé dans un premier temps le soulèvement anti-Assad et en tirant profit, dans un second temps, du retrait des troupes loyalistes, incapables de maintenir un front militaire ouvert au Nord contre les Kurdes. Etant donné que la Turquie, par ailleurs, est l’un des principaux soutiens des « rebelles » syriens, Damas savait qu’un Kurdistan syrien autonome serait une épine dans le pied vis-à-vis d’Ankara, qui continue ã nier le droit à l’autodétermination du Sud-est turc et ã réprimer durement le mouvement national kurde même si des négociations officieuses ont été ouvertes avec le PKK fin 2011.
4. Dans un tel cadre, les impérialistes, si prompts ã détruire les positions de Daesh en Irak ont soigneusement évité de bombarder dans une première phase les avant-postes combattants des djihadistes au Kurdistan syrien. Pendant plusieurs semaines, les forces impérialistes conduites par les Etats-Unis ont uniquement bombardé des positions non stratégiques de Daesh, privilégiant la destruction de silos de céréales et de raffineries contrôlés par les islamistes, espérant que le désapprovisionnement en nourriture et combustible provoque, avec l’approche de l’hiver, une désaffection de certains secteurs sunnites syriens vis-à-vis de l’Etat islamique. Ce n’est que le 22 octobre, dans le cadre de probables négociations avec la direction du PYD, qui sont soin toutefois de renverser le statu quo régional, après avoir intégré un commandant des YPG à l’état-major allié et devant « l’opinion publique internationale » (pour qui il devenait de plus en plus évident que l’impérialisme appliquait la loi des deux poids et deux mesures pour le PDK et l’UPK pro-occidentaux, d’une part, et le PYD et le PKK, de l’autre), que des armes ont été parachutées sur la ville pour la résistance. Jusqu’à présent, cependant, la défense de la ville a reposé fondamentalement sur les forces de la base des YPG et de leurs combattant-e-s héroïques. Bien que mal équipé-e-s, ils-elles démontrent, parallèlement à la débandade de l’armée pro-impérialiste iraquienne, qu’une force belligérante qui défend une perspective absolument légitime et qui a le soutien de toute la population pour défendre le Rojava est en capacité de résister face aux assauts des milices de Daesh qui disposent d’armement lourd pris aux forces iraquiennes et syriennes mais également livré par la Turquie avec le blanc-seing ou du moins la passivité des États-Unis. Ce que craignent aujourd’hui les impérialistes, ce n’est pas qu’une intervention de leur part en Syrie favorise Al-Assad. Ce dont ont peur les impérialistes c’est qu’une force de résistance populaire comme le PYD et ses YPG, qui leur échappe et qu’ils ne contrôlent pas complètement, à la différence des troupes du PDK kurdo-irakien, puissent résister victorieusement face ã Daesh, défendant ce faisant le droit des Kurdes à l’autodétermination et ã disposer de leur propre État. C’est ce qui leur est nié depuis le démantèlement de l’Empire ottoman et le Traité de Lausanne en 1923 qui a officialisé la division réactionnaire du Kurdistan. Une telle dynamique représente, en quelque sorte, une guerre progressiste dans le cadre d’une guerre réactionnaire au sein de laquelle aucune des fractions en conflit ne représente une alternative progressiste : ni Assad, ni le gouvernement de Bagdad, ni les milices sunnites, ni « l’opposition modérée syrienne », ni les peshmergas du PDK ni, bien entendu, les impérialistes. Dans une situation essentiellement dominée par le tête-à-tête réactionnaire entre les impérialistes et Daesh, une résistance victorieuse du Rojava pourrait réactiver une dynamique progressiste à la fois par rapport à la question nationale kurde, au niveau régional (tant en Turquie qu’en Irak et en Iran), mais aussi par rapport à la question des « printemps arabes » et à l’opposition contre Erdogan en Turquie (bien que le parti islamico-conservateur AKP ait réussi ã stabiliser la situation ã travers son renforcement électoral après le mouvement de Taskim et le massacre de Soma). C’est ce qui explique la volonté des impérialistes ã neutraliser les force de Daesh devant Kobanê et de parachuter quelques armes, et ce pour mieux essayer de subordonner la direction du PYD ã son orientation, comme il a déjà su le faire avec le PDK et l’UPK en Iraq.
La position du gouvernement turc est encore plus scandaleuse et hypocrite. En Turquie, l’Etat kémaliste a tout fait pour écraser le mouvement national kurde, tant ses expressions culturelles et linguistiques que les plus politiques. Ceci s’est traduit par une guerre civile menée par l’armée turque, qui agit en armée d’occupation dans les provinces kurdes du sud-est du pays et qui a coûté la vie ã des dizaines de milliers de personnes au cours des quarante dernières années. En 2003, lors de l’intervention contre Bagdad de la coalition anglo-américaine, la Turquie était prête ã envahir militairement tout le nord de l’Iraq voisin de façon ã éviter que le Kurdistan iraquien ne renforce son autonomie, acquise depuis 1991. Washington n’a réussi ã dissuader Ankara d’intervenir qu’en échange d’une aide exceptionnelle de 14 milliard de dollars. Dans un second temps, des secteurs de la bourgeoisie turque se sont également rendu compte qu’il pouvait se faire de juteuses affaires au Kurdistan irakien où les capitaux turcs contrôlent une bonne partie du commerce et du transport. C’est cette situation qui a poussé une fraction de l’AKP a entamer des négociations de paix secrètes avec le PKK d’Öcalan de manière ã « résoudre » de façon réactionnaire la question kurde en Turquie, sans jamais renoncer, cependant, à la répression. Le Rojava indique néanmoins, tant pour l’AKP que pour l’armée et les services secrets turcs dont les intérêts ne coïncident pas toujours systématiquement que la perspective d’un Kurdistan autonome ou indépendant dans la Syrie voisine, y compris sous une forme fragmentée, est absolument exclue. En sus de la rivalité historique entre Ankara et Damas, c’est ce qui explique les raisons pour lesquelles la Turquie a protégé et armé Daesh. C’est ce qui explique pourquoi Ankara considère que le PYD représente, aujourd’hui, la principale menace qui pèse sur la stabilité du pays et pourquoi Erdogan continue ã refuser de collaborer plus étroitement avec la coalition, rejetant la possibilité pour les chasseurs étatsuniens d’utiliser la base d’Incirlik, et de faire obstacle au passage des 150 peshmergas kurdo-iraquiens pour défendre Kobanê alors qu’ils ont pourtant l’assentiment de Washington. On comprend davantage, dans ce cadre, la politique criminelle d’Ankara : Erdogan a fait bombarder pour la première fois depuis des mois des positions du PKK à la frontière turco-iraquienne et continue ã empêcher le passage de combattants kurdes et d’armes en direction de Kobanê et souhaite constituer une « zone-tampon » au Sud de la frontière syrienne. C’est une façon, pour Ankara, de dire clairement que le gouvernement turc cherchera ã empêcher par tous les moyens que la lutte pour Kobanê ne s’étende et se transforme en une lutte pour un Kurdistan unifié. L’option de la « zone-tampon », rebaptisée « zone libre » après la visite du président turc ã Paris le 30 octobre, signifierait tout autant que dans le cas d’une victoire de Daesh une défaite pour les Kurdes. Le gouvernement allemand n’est pas en reste dans son appui à la politique d’Erdogan. Berlin a stationné depuis janvier 2013 deux batteries de missiles à la frontière turco-syrienne et pourchasse depuis des décennies les organisations comme le PKK, considérées comme terroristes (de même qu’en France ou aux Etats-Unis). Cette orientation, en plus de soutenir le régime turc en lui donnant des arguments dans sa guerre interne contre le mouvement kurde, représente l’un des principaux obstacles à la victoire de la résistance kurde, aujourd’hui, dans le Rojava. La criminalisation en Europe des organisations kurdes rend beaucoup plus compliqué tout appui matériel à la résistance kurde, indépendant des intérêts impérialistes. C’est en ce sens que l’un des tâches les plus fondamentales de solidarité des révolutionnaires en Europe passe par le combat pour l’arrêt de la criminalisation de l’ensemble des organisations et partis kurdes, ã commencer par le PKK.
A bas l’intervention impérialiste !
5. Après deux guerres du Golfe et un siècle de colonialisme et d’impérialisme, les occidentaux sont les principaux responsables de la situation de la région. Ce sont eux qui, historiquement, ont attisé les divisions ethnico-religieuses et qui les ont ultérieurement renforcées après 2003. Ce n’est donc pas une nouvelle intervention qui va venir au secours de populations qui vivent dans une situation encore plus catastrophique aujourd’hui qu’à l’époque de l’embargo sur le pétrole irakien, entre la première guerre du golfe et la seconde.
Face ã eux, Daesh n’est qu’une réédition monstrueuse d’Al-Qaïda. Ben Laden, lui aussi ancien allié des États-Unis lors de la guerre contre les soviétiques en Afghanistan, avait cru qu’il était possible de se retourner contre ses anciens maîtres. Bien que Daesh dispose de l’appui de secteurs de la population sunnite en Iraq et en Syrie en s’appuyant sur un discours qui en appelle ã un meilleur partage des richesses, qui s’insurge contre la corruption des gouvernements en place et qui tire profit de la marginalisation des sunnites, tant en Irak qu’en Syrie, l’Etat islamique n’est pas une force de résistance. Au lieu d’unifier les forces nationales contre l’occupant impérialiste et ses marionnettes corrompues, il fragmente davantage les populations, faisant ainsi le jeu de l’impérialisme. Dans ce tête-à-tête réactionnaire dont les peuples sont les victimes, la seule tendance progressiste qui émerge et qui soit en capacité de renverser cette opposition asymétrique entre l’impérialisme, leurs alliés locaux et l’État irakien d’un côté, et Daesh de l’autre, pourrait venir d’une victoire de la résistance kurdo-syrienne. Une telle victoire ne viendra ni d’un soutien impérialiste, ni d’une intervention terrestre d’Ankara, qui souhaite rayer de la carte toute idée d’un Rojava autonome.
Les forces de la gauche réformistes, à l’instar des 14 députés de Die Linke en Allemagne, tout comme une bonne partie des organisations kurdes en Europe qui invoquent l’envoi de troupes impérialistes pour « stopper la barbarie de Daesh » alimentent l’illusion d’une intervention humanitaire de l’impérialisme, comme si l’intervention des forces qui ont mis la région ã feu et ã sang depuis 2003 pouvait régler quoi que ce soit. L’indépendance de l’impérialisme comme pré-condition ã toute issue progressiste peut se lire, en creux, dans le développement du « printemps arabe » au cours des deux dernières années. Sans expulsion définitive de l’impérialisme, sans défaite de ses alliés locaux, il n’y aura aucune solution pour les revendications portées par les peuples arabes depuis 2011. Cela vaut autant pour la Tunisie, où les anciens benalistes de Nidaa Tounes ont ã nouveau gagné, que pour l’Egypte, à la suite du retour des militaires au pouvoir, ou pour la Libye, qui traverse aujourd’hui une situation de guerre civile ouverte. Ceux qui ont appuyé le Conseil National de Transition libyen et l’intervention de l’OTAN comme s’il s’agissait d’une solution pour arrêter les massacres perpétrés par les forces loyales ã Kadhafi plaident, aujourd’hui, pour une issue similaire pour la Syrie.
Par ailleurs, à l’image des discours ã travers lesquels on a tenté de légitimer l’intervention en Iraq en 2003, le débat, aujourd’hui, sur « l’intervention humanitaire » au Rojava sert à légitimer les ambitions militaristes des impérialismes européens. C’est le cas, notamment, de l’impérialisme allemand. Berlin entend tirer profit de la situation pour justifier un renforcement de l’armement de l’armée allemande et pour habituer la population ã des interventions extérieures. De plus, la discussion sur la « barbarie de Daesh » permet ã de nombreux politiciens d’avancer sur l’idée d’une « menace salafiste » en Europe, utilisant l’islamophobie croissante pour renforcer l’arsenal légal répressif. Parallèlement, les néo-fascistes allemands gagnent du terrain avec un discours « anti-salafiste » comme en témoigne la manifestation de 4.000 d’entre eux ã Cologne.
Une victoire contre Daesh ne pourrait venir que d’une unification de la résistance kurde et des forces populaires contre l’ensemble des puissances réactionnaires de la région, alliées ou non de l’impérialisme, contre le gouvernement turc notamment, mais également contre le gouvernement irakien actuel, soutenu par le PDK. Une telle victoire serait non seulement un pas réel pour le droit à l’autodétermination de tous les peuples de la région, contre les occupations impérialistes et les régimes qui leur sont alliés, mais également une bouffée d’oxygène pour relancer les printemps arabes en plein reflux depuis l’intervention impérialiste en Libye, la contre-révolution des militaires et Égypte et la tournure guerre-civiliste qu’a pris la révolte anti-Assad en Syrie. Cela signifierait lutter authentiquement pour l’unité arabe contre l’impérialisme dans le respect des minorités, la seule alternative au panarabisme sunnite réactionnaire qu’est le califat de Daesh, et pour la véritable justice sociale pour laquelle sont descendues dans la rue les masses égyptiennes, tunisiennes et arabes, bien différente du discours sur une répartition plus juste des richesses dont parle l’Etat islamique pour critiquer les régimes arabes corrompus et vendus à l’impérialisme.
Armes et programme, les ressorts de la victoire du Rojava
6. Pour lutter et pour vaincre, la résistance kurde a besoin d’armes mais aussi et surtout d’un programme capable d’arracher tant ã Daesh qu’au régime de Al-Assad leur base sociale.
Jusqu’à présent, les combattant-e-s des YPG ont combattu et résisté en dépit de leur manque d’armes, et ce à la différence de l’armée corrompue de Bagdad et de ses alliés qui ont reflué chaotiquement face à l’offensive de Daesh cet été. A l’instar de l’Alliance Rouge et Verte danoise qui a voté pour une participation de Copenhague à la coalition impérialiste, certains, au sein de la gauche radicale et de l’extrême gauche en Europe, défendent l’idée selon laquelle il nous faudrait exiger à l’impérialisme de livrer des armes ã Kobanê. Les révolutionnaires, bien entendu, ne peuvent s’opposer aux parachutages d’armes pour les résistants de la part de l’impérialisme, même si ces parachutages ont été, jusqu’à présent, minimes. Néanmoins, toute livraison d’arme ne peut qu’être liée à la volonté de la part de la coalition de contrôler, politiquement, la résistance kurde. Par ailleurs, exiger des livraisons d’armes à la France ou à la Grande-Bretagne, anciennes puissances mandataires dans la région et, actuellement, principaux participants à la coalition, revient, dans le meilleur des cas, ã croire ou à laisser croire que ces puissances impérialistes auraient changé de nature ou alors, dans le pire des cas, ã couvrir leur orientation, aujourd’hui fondamentalement contre-révolutionnaire et qui ne peut, ã aucun moment, coïncider avec les intérêts historiques du mouvement kurde. Les armes nécessaires pour que la résistance puisse se poursuivre devraient être envoyées par le mouvement ouvrier européen et turc, en complète opposition à l’interventionnisme des gouvernements, et ce par tous les moyens nécessaires. Cela devrait commencer par exiger que les organisations kurdes, dont le PKK, cessent d’être pourchassées au nom de la lutte contre le « terrorisme ». Cela devrait également passer par l’appui aux fractions du mouvement syndical turc qui en appellent ã une grève générale contre la complicité d’Erdogan vis-à-vis de Daesh et pour exiger l’ouverture de la frontière avec le Rojava.
Mais pour que Rojava soit victorieux et se transforme en une tranchée dans la lutte contre l’impérialisme, la réaction islamiste et les régimes dictatoriaux de la région, la résistance kurde doit se doter d’un programme. Ce programme ne peut consister en la défense du « confédéralisme démocratique » mis en place par le PYD au Kurdistan Ouest, un « système », par ailleurs, idéalisé par la gauche radicale européenne qui y voit une sorte de « gouvernement et d’économie autogérées ». En réalité, les rapports de propriété au Rojava n’ont pas été modifiés, il n’existe aucune démocratie « par en bas » et l’objectif du PYD comme celui du PKK consiste ã négocier leur reconnaissance par la communauté internationale, ã savoir par l’impérialisme, et ce tout en acceptant la fragmentation actuelle du Kurdistan. Adoptée officiellement en 2005, la ligne du « confédéralisme démocratique » maintient certains points de continuité avec le « marxisme léninisme » défendu officiellement par le PKK et le PYD en termes de gradualisme et d’étapisme dans la stratégie du processus révolutionnaire. Au Kurdistan, cela consiste ã soutenir l’idée selon laquelle la lutte pour la libération nationale peut passer par une alliance avec les bourgeoisies locales (voire même avec les impérialismes) et de s’abstenir de défendre un programme d’expropriation de la propriété privée. L’histoire des mouvements de libération nationale ont laissé une leçon centrale : la lutte contre l’impérialisme et ses valets ne peut se traduire par un programme de « révolution démocratique » ã moins que de ne courir le risque de céder le pas ã un simple changement des fractions de la classe dominantes ou ã un nouveau mode de soumission aux intérêts impérialistes. Ni le PYD, ni le PKK, et moins encore le PDK ou l’PUK, sont disposés ã mener cette lutte jusqu’au bout. Comme l’a montré récemment le processus des « printemps arabes », une lutte qui s’arrête au milieu du gué peut que céder le pas à la contre-révolution. C’est en ce sens crucial que de comprendre que la défense de Rojava ne consiste pas seulement en une victoire militaire contre Daesh, mais que sans un programme qui combinerait la lutte contre l’Etat islamique et un programme de révolution permanente, posant la perspective de l’expulsion de l’impérialisme et de ses valets, l’expropriation de la propriété privée des moyens de production et la perspective d’un Kurdistan unifié, indépendant et socialiste, cette guerre ne peut se gagner. Pour défendre Rojava, il est nécessaire que la résistance kurde se postule comme unique défenseur des masses opprimées syriennes, indépendamment de leur communauté d’appartenance ; des paysans pauvres, qui ont vu leurs terres volées par le clan Assad-Makhlouf ; des masses poipulaires syriennes qui ont été les premières victimes des mesures de libéralisation économiques initiées dès la fin des années 1990. Pour défendre Rojava, il serait nécessaire que la résistance kurde s’adresse à la classe ouvrière turque pour qu’elle brise le siège qu’impose Erdogan, en soulignant combien la classe ouvrière et les classe populaires turques et kurdes ont les mêmes intérêts. Cela reviendrait ã défendre un programme distinct de lui du programme du PKK qui prétend négocier avec Ankara une « transition politique » avec une plus grande autonomie pour le sud-est de la Turquie.
En Europe, les révolutionnaires se doivent d’être les premiers, au sin du mouvement ouvrier et parmi la jeunesse, ã défendre un programme anti-impérialiste et anticapitaliste qui défende la perspective d’un Kurdistan unifié et socialiste au sein d’une confédération d’Etat socialistes au Proche et Moyen-Orient. Cela implique que nous nous opposions à l’intervention impérialiste en cours et que nous démasquions sa couverture « humanitaire », de même qu’à l’ensemble des mesures de répression à l’encontre du mouvement kurde en Europe depuis le milieu des années 1980, ã commencer par la lutte pour le retrait du PKK de la liste des organisations « terroristes ». C’est en ce sens et malgré nos divergences politiques vis-à-vis du PYD et du PKK que nous avons ã nous situer radicalement dans le camp militaire de la résistance kurde. Ceci implique de soutenir toutes les campagnes de solidarité pour l’appuyer, y compris militairement, ã partir du moment où ces campagnes ne font pas des puissances impérialistes des alliés tactiques des combattants kurdes, et tant que ces derniers ne finissent pas par se transformer en tête-de-pont de la politique impérialiste comme cela a été le cas du PDK et de l’PUK depuis le début des années 1990. L’intervention impérialiste, caractérisée à l’heure actuelle par une absence complète de clarté stratégique, s’installe dans le temps et pourrait se prolonger pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Le mouvement ouvrier combatif, les syndicats de base, le mouvement anti-guerre de même que le mouvement de solidarité avec la Palestine ont la responsabilité de fuir toute position campiste ou, pire encore, finir à la remorque des bombardements au nom de la solidarité avec le peuple kurde. C’est le défi auquel doit répondre l’extrême gauche européenne, plus encore si elle entend se transformer en un outil efficace contre l’offensive interne que nous livrent nos gouvernements, ceux-là mêmes qui, parallèlement, bombardent la Syrie et l’Iraq.
Pour la défense de Kobanê et de tout le Kurdistan-Ouest, vive la résistance des combattant-e-s kurdes de Rojava contre Daesh !
A bas l’intervention des impérialistes en Irak et en Syrie ! A bas la complicité du gouvernement turc avec Daesh et les bombardements contre les positions du PKK !
A bas la répression contre les Kurdes qui, en Europe, manifestent leur solidarité à l’égard de leurs frères et sœurs et lutte !
Pour le retrait de toutes les organisations populaires kurdes de la liste des organisations « terroristes », ã commencer par le PKK !
Liberté pour Abdullah Öcalan, détenu dans une prison de haute sécurité turque depuis 1999 ! Pour la libération des prisonnier-e-s politiques turc-que-s et kurdes incarcéré-e-s en Turquie ainsi qu’en France et en Allemagne !
Pour l’accueil et la reconnaissance de l’ensemble des réfugié-e-s en provenance de la région dans tous les pays impérialistes !
Pour un Kurdistan unifié, indépendant et socialiste !
01/11/14